Référencer sa franchise

Jérôme Fourquet : « Action et Shein répondent aux impératifs d’arbitrages des Français »

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Il scrute la société française comme nul autre. Directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP, Jérôme Fourquet dresse pour L’Express Franchise un tableau sans fard de la consommation des Français.


Entre économie de la débrouille, explosion du e-commerce chinois et rôle quasi politique des enseignes de grande distribution, le sondeur et auteur d’un nouvel ouvrage, Métamorphoses françaises (Le Seuil 2024) décrypte un pays dans lequel les zones commerciales constituent de véritables centres de gravité de la société, et où le pouvoir d’achat s’impose comme la matrice de tous les arbitrages. Interview.

Jérôme Fourquet : La toile de fond réside dans la très forte prégnance du réflexe prix dans les comportements d’achat des consommateurs. Car si l’inflation a été en grande partie jugulée, les hausses de prix intervenues ces dernières années n’ont, pour beaucoup, pas été effacées. Une part substantielle de la population peine à joindre les deux bouts. Pour elle, les fins de mois sont difficiles et elle applique au quotidien une logique d’arbitrage, en sanctuarisant certains postes de dépenses pour des achats plaisir. Cela implique d’aller chercher les tarifs les plus bas possibles sur toutes les autres dépenses, et c’est ce qui explique la popularité d’Action. À cela s’ajoute, pour une partie de la population, la prise en compte des arguments écologique et RSE lorsque l’on peut se le permettre, mais ce n’est clairement pas ce qui guide les comportements d’achats en dernière instance.

Jérôme Fourquet : De la notion d’arbitrage que j’évoquais précédemment découlent deux termes qui caractérisent toute une série de réflexes adoptés par les consommateurs pour essayer de consommer malin. D’une part, l’économie de la débrouille qui concerne la fréquentation de plateformes de reventes entre particuliers telles que Vinted ou Leboncoin, et qui accompagne l’essor de la seconde main dans les vide-greniers, les bric à brac, ainsi que les promotions liées au Black Friday, etc.

Parallèlement, nous constatons depuis une trentaine d’années l’émergence de ce que j’appelle un marché secondaire, et qui s’applique à tous les secteurs d’activité. À l’image d’un réseau routier principal, et d’un secondaire, il existe désormais un marché principal et un secondaire. Il s’agit typiquement, dans la grande distribution, de l’arrivée du hard-discount dans les années 90. Dans l’univers de l’automobile, la marque Dacia a incarné ce marché secondaire. Et désormais, dans l’univers de la mode, c’est aujourd’hui la fast fashion de Shein et Temu qui constituent ce marché secondaire.

« Shein et Temu permettent à des consommateurs de garder leur rang social et de ne pas perdre la face en s’habillant avec du neuf et en étant à la mode, sachant que la position sociale se joue très fortement sur les marques portées ou consommées. »

Jérôme Fourquet, Directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP

Jérôme Fourquet : Naturellement, le paramètre prix induit énormément de comportements et de choix. Si Action est l’enseigne préférée des Français, et si Shein a vu son chiffre d’affaires multiplié par quatre ces dernières années en France, ce n’est pas pour rien. Mais à côté de cet argument prix, il faut aussi ajouter la puissance de modèles comme Shein qui concentre tous les avantages du e-commerce en permettant de commander en un clic, de se faire livrer dans un délai record, et de renvoyer les objets rapidement si vous n’êtes pas satisfaits. Associez cela à un grand rythme de renouvellement de modèles et des gammes de choix à la fois larges (de nombreux modèles sans cesse renouvelés) et profondes (toutes les tailles), et vous obtenez un modèle imbattable, défiant toute concurrence.

Shein et Temu permettent par ailleurs à beaucoup de consommateurs de garder leur rang social et de ne pas perdre la face en s’habillant avec du neuf et en étant à la mode, sachant que la position sociale se joue très fortement sur les marques portées ou consommées. Cet aspect psychologique est important et rappelle un slogan qui était celui de la campagne de Dacia en 2020 : “Depuis quinze ans, nous vous rendons le plaisir du neuf accessible”.

Bon à savoir

Jérôme Fourquet est diplômé de l’institut d’études politiques de Rennes, et a effectué un DEA de géopolitique et géographie électorale à Paris VIII avant d’entrer dans le monde des sondages. Il est le Directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP

Jérôme Fourquet : Oui, je le crois, complètement. La société de supermarché ne s’incarne pas uniquement dans des lieux tels que les grandes surfaces et les zones commerciales, même si elles jouent un rôle déterminant, sachant que 70 % du commerce en France s’effectue dans ces zones commerciales de périphérie. C’est donc absolument central aujourd’hui ; il s’agit du cœur battant de la société française. Et même si l’on nous explique que ce modèle est en crise, qu’il arrête de croître, je crois qu’il en a encore sous le pied. Je parle de société de supermarché pour souligner le fait que les comportements qui ont été initiés par la grande distribution se sont généralisés, créant une société du choix infini. À l’image des linéaires de grande surface qui offrent par exemple 40 sortes de yaourts, le consommateur et citoyen est habitué à avoir un choix infini pour pas très cher. C’est aussi là que les gens consomment, qu’ils se divertissent. Les multiplex, les bowlings, les laser-game, la restauration rapide, les drives sont désormais très présents dans ces zones. C’est cela qu’on entend par société de supermarché.

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Ces lieux de consommation sont-ils influencés par l’évolution de la société française qui s’est archipélisée, concept que vous avez vous-même théorisé ?

Jérôme Fourquet : Oui, et c’est le format de l’hypermarché qui en souffre le plus. Ce n’est pas un hasard que les deux enseignes françaises qui comptaient dans leur portefeuille de points de vente la plus forte proportion d’hyper, à savoir Carrefour et Auchan, se trouvent être aujourd’hui les plus en difficulté. De mon point de vue, le format de l’hyper, “le tout et tous sous le même toit”, était un format qui correspondait parfaitement à l’époque d’une société qui n’était pas encore archipélisée (ndlr : le concept d’archipel français a été développé par Jérôme Fourquet dans son livre de 2019, L’Archipel français, éditions du Seuil), mais qui était moyennisée. Il s’agit de la France des années 60, 70, 80.

C’est à ce moment-là que l’on a inventé et développé le format d’hyper. Dans une société qui s’archipélise, ce format souffre plus que les formats à taille plus réduite, qui sont plus flexibles et adaptés aux spécificités sociologiques des territoires dans lesquels ils sont implantés.

L’hypermarché perd des clients dans le haut de la pyramide sociale, typiquement des CSP+ des grandes villes qui vont préférer les commerces de centre-ville. Il en perd aussi beaucoup en bas de la pyramide sociale dans les catégories populaires et modestes qui vont privilégier Lidl, Aldi ou Action, malgré la présence de marques distributeur en hyper. Il va en perdre également, si je puis dire, sur le côté, avec une part de la population qui va être sensible aux arguments RSE, à la décroissance, à l’économie circulaire et qui va être tentée par des réseaux alternatifs ou de la distribution bio spécialisée. Une quatrième source d’évasion ou de perte de clientèle se retrouve chez la population qui est dans une consommation communautarisée, avec du halal par exemple, dans des commerces spécialisés.

@lexpressfranchise

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♬ son original – L’Express Franchise

La grande distribution reste toutefois un pilier de l’économie française et ses dirigeants sont de plus en plus médiatisés. Michel-Edouard Leclerc, par exemple, se démarque par ses interventions dans les médias. Est-ce que ces personnalités marquent les Français, au point de leur imaginer un avenir politique ?

Jérôme Fourquet : Je pense qu’il faut faire le distinguo entre Michel-Edouard Leclerc et les autres car il est, de très loin, le plus identifié dans l’opinion publique. Au-delà de son talent de communicant certain, il dispose de deux qualités qui font souvent défaut aux politiques.

Il dispose d’une part d’une connaissance fine de la réalité contemporaine de la société puisqu’il est, via son réseau de magasins, en contact permanent avec les Français qui sont aussi ses clients et consommateurs. Il constate leurs modes de consommation, leurs arbitrages, les tendances qui se dessinent, ce qui lui permet de prendre le pouls de la société française au quotidien. Il revendique d’ailleurs « d’être en permanence sur le carrelage », (en référence au revêtement du sol de ses magasins), c’est-à-dire au contact direct avec les consommateurs.

D’autre part, la fonction performative du langage est son point fort, c’est-à-dire de pouvoir faire ce qu’il dit. Par exemple, lorsqu’il annonce que dans deux jours, tous ses magasins vont appliquer une baisse de prix sur tel produit, tout un chacun peut constater, 48 heures plus tard, que cela est entré en application. La parole politique souffre énormément de cette absence à pouvoir matérialiser concrètement des annonces. C’est donc un atout important pour lui et une source de crédit dans l’opinion.

Mais ne nous y trompons pas. Si Michel Edouard Leclerc et ses pairs tels que Dominique Schelcher (Coopérative U) ou Thierry Cotillard (Intermarché) sont très bien positionnés sur le pouvoir d’achat, première préoccupation des Français, on ne peut pas affirmer que cela soit suffisant pour mener une carrière politique de haut niveau. On ne vit pas qu’avec son caddie et dans une élection présidentielle, il faut parler aussi d’autres choses : de sécurité, d’éducation, de justice etc.

Peut-on dire que la grande distribution joue déjà un rôle politique en France ?

Jérôme Fourquet : Oui, bien sûr. Et d’autant plus que dans notre société de consommation, avec les préoccupations des Français pour le pouvoir d’achat, être un acteur qui œuvre depuis 50 ans pour les prix bas donne un poids tout à fait significatif.

Dans de très nombreux territoires, dans des petites villes moyennes, quand l’usine a fermé, le premier employeur devient soit l’hôpital, soit la grande surface. Aujourd’hui donc, la grande distribution joue un rôle central dans l’aménagement du territoire, dans la vie des Français, mais aussi dans notre économie. Les chiffres d’affaires en France des géants de la grande distribution sont aussi importants que le budget d’un grand ministère français.

N’oublions pas, aussi que lors de la pandémie de Covid-19, la grande distribution s’est quasiment substituée à l’État en allant chercher les masques grâce à leurs chaînes logistiques, ce que le politique ne parvenait pas à réaliser.

Quel est le regard des Français vis-à-vis des déclarations de Donald Trump ?

Jérôme Fourquet : Ils sont un peu perdus parce que cela change tous les jours ! Ils sont globalement assez stupéfaits et perplexes. Beaucoup sont inquiets, notamment ceux qui travaillent dans les secteurs exportant vers les États-Unis. Mais nous constatons que de manière générale, les Français ne sont plus que 25 % en 2025 à considérer les États-Unis comme un allié fiable, contre 65 % il y a un an. Un sentiment qui ne concerne pas uniquement la question de la guerre commerciale, mais aussi les déclarations tonitruantes sur le Groenland, sur l’OTAN, etc.

La plupart des générations ont construit leurs repères géopolitiques sur l’idée d’une alliance indéfectible du camp occidental et d’un soutien des Américains à l’Europe face aux menaces diverses. Le fait que Donald Trump se comporte parfois avec des instincts de prédateur déstabilise complètement. Toutes les règles que l’on pouvait croire établies sont aujourd’hui démenties dans les faits.

Les conseils lecture de jérôme fourquet

L’identité de la France de Fernand Braudel, édition Flammarion
Les ouvrages et notes de Jean-Laurent Cassely


(Vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : la transformation des modes de consommation des Français à travers le prisme d’enseignes comme Action ou Shein, selon Jérôme Fourquet.

Pouvoir d’achat et arbitrage permanent : La consommation des Français est dictée par la recherche des prix les plus bas, en raison d’un pouvoir d’achat sous pression. Les arbitrages sont constants : on économise sur certains postes pour s’autoriser des achats plaisir ailleurs. D’où le succès d’enseignes comme Action.

Montée en puissance de l’économie de la débrouille : Face aux contraintes budgétaires, les Français adoptent des pratiques comme l’achat de seconde main (Leboncoin, Vinted), la chasse aux promotions et le recours à des marques de « marché secondaire » comme Dacia ou Shein, qui proposent du neuf, pour pas cher. C’est une consommation rusée, segmentée et pragmatique.

La fast fashion chinoise, reflet d’une logique sociale : Shein et Temu séduisent par leur modèle ultra-efficace (prix cassés, renouvellement rapide, livraison express). Au-delà du prix, ces plateformes permettent à chacun de maintenir une apparence sociale valorisante, en accédant à des produits neufs et à la mode, à bas coût.

Zones commerciales : centres névralgiques : Les périphéries commerciales sont devenues des « cœurs battants » de la société française. Plus qu’un lieu d’achat, c’est un espace de vie où se mêlent consommation, loisirs et sociabilité. Le format hypermarché souffre cependant de l’archipélisation de la société.

La grande distribution, acteur quasi politique : Des figures comme Michel-Édouard Leclerc gagnent en crédibilité par leur proximité avec les réalités du terrain et leur capacité à agir concrètement, à la différence des politiques. La grande distribution influence de fait la vie économique et sociale, en jouant un rôle structurant dans les territoires.

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