Le modèle coopératif, longtemps perçu comme marginal, connaît aujourd’hui un regain d’intérêt porté par des enjeux sociaux, économiques et environnementaux prégnants. Amal Chevreau, cheffe de l’unité économie sociale et innovation à l’OCDE*, analyse dans cette interview les raisons de cette dynamique et l’impact croissant des coopératives, qui se positionnent désormais comme des acteurs clés pour répondre aux défis contemporains.
Entre participation démocratique, respect de l’environnement et égalité homme-femme, elle nous dévoile les atouts d’un modèle en pleine évolution, qui séduit de plus en plus d’entrepreneurs et de gouvernements à travers le monde.
6questions à Amal Chevreau, cheffe de l'unité économie sociale et innovation à l'OCDE

En quoi le commerce coopératif permet d’avoir un impact positif, social et éthique dans nos sociétés ?
Amal Chevreau : Tout d’abord, je voudrais souligner qu’au cours d’un travail inédit de collecte de données sur l’économie sociale et solidaire (ESS) que nous avons effectué auprès de plus de 30 pays de l’OCDE et au-delà, les coopératives figurent parmi les structures organisationnelles les plus répandues dans l’économie sociale et solidaire, après les associations. En pleine expansion, notamment grâce à des stratégies d’internationalisation, elles adoptent diverses approches notamment celles favorisant la diffusion de l’innovation sociale ; ou celles impliquant des accords contractuels à long terme où la coopérative mère et ses partenaires conservent leur autonomie tout en partageant certains moyens.
Selon Coop FR le commerce coopératif et associé représente 30 % du commerce de détail en France. Le commerce coopératif est présent à travers de nombreuses enseignes (certaines sont très grandes) que les Français fréquentent quotidiennement, souvent sans en avoir conscience. Le modèle du commerce coopératif a plusieurs avantages : il privilégie la coopération, crée des emplois locaux et soutient des pratiques commerciales responsables, respectueuses de l’environnement. De plus, les entreprises coopératives renforcent le tissu social en impliquant activement leurs membres et leurs communautés dans la prise de décision, contribuant ainsi à bâtir une société plus solidaire et durable.ere…
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Votre regard en tant que cheffe d’unité à l’OCDE vous permet d’avoir une vision internationale du modèle coopératif. Est-il aussi développé à l’étranger ?
Amal Chevreau : Les coopératives sont présentes dans l’ensemble des pays de l’OCDE, couvrant presque tous les secteurs d’activité. En France, elles jouent un rôle économique et social majeur, tout comme en Espagne, au Portugal, mais aussi en Corée qui compte 26 000 coopératives, ou le Mexique où leur impact est également significatif. En général, les coopératives avec les autres organisations de l’ESS contribuent notamment à l’emploi des femmes (plus de 60% en France et Espagne par exemple) et interviennent dans des secteurs dits essentiels tels que l’éducation, les soins à la personne, ou la santé. L’Italie, pour sa part, a innové en lançant ce que l’on appelle la « coopérative sociale », un modèle destiné à répondre à des besoins sociaux.
Le modèle coopératif se distingue par sa grande souplesse : il peut s’adapter à une diversité de contextes économiques, sociaux et culturels. Les conditions d’entrée y sont généralement moins contraignantes (peu de capital et selon les pays peu de personnes pour constituer des coopératives) que celles requises pour la création d’une entreprise classique, ce qui facilite l’engagement des membres et la structuration de ces organisations. Il ne s’agit pas de mettre en opposition différents modèles économiques, mais plutôt de souligner que de nombreux pays encouragent la création de coopératives en simplifiant leurs démarches administratives. Par exemple, la Colombie a révisé sa législation afin de faciliter la constitution et le développement des coopératives, notamment pour formaliser le travail et l’activité économique, témoignant ainsi d’une tendance internationale à soutenir ces formes d’organisation.

Le président de la Fédération du Commerce coopératif et Associé, Jean-Pierre Dry estime que désormais, l’expression “vivons heureux, vivons cachés” qui prévalait dans le monde coopératif n’est plus adaptée. Qu’en pensez-vous ?
Amal Chevreau : Pendant de nombreuses années, il y a eu cette idée que le modèle coopératif était en retrait. Cependant, dans le cadre de nos travaux à l’OCDE, nous avons constaté un regain d’attention envers le modèle coopératif, notamment à travers le développement des plateformes coopératives ou la reprise d’entreprises par les salariés, à l’image du modèle des SCOP. L’exemple de Duralex en France est souvent cité, mais tous les secteurs sont concernés : aujourd’hui, il existe des coopératives d’avocats, de comptables, et des dans les services, et bien que traditionnellement, les coopératives ont été très présentes dans l’agriculture, il faut souligner leur présence dans le secteur bancaire et industriel avec l’exemple de Mondragon en Espagne. Aujourd’hui, leur participation dans le secteur du logement est également importante, notamment dans les pays scandinaves. Les activités de soins aux personnes et les technologies commencent aussi à être peu à peu intégrées dans le modèle coopératif.

De nombreux pays réexaminent leur législation dans ce domaine, car les normes sont souvent un frein à l’émergence de projets innovants et porteurs.
Amal Chevreau : De nombreux pays prennent conscience que la législation peut constituer un frein à l’émergence de projets dans l’économie sociale et solidaire (ESS). En engageant des réformes législatives et en adaptant les cadres réglementaires, ils cherchent à créer un environnement plus propice à l’innovation, à la coopération et à la croissance de ces initiatives. Plusieurs pays, telles que la France, l’Espagne, le Portugal, le Mexique, et plus récemment le Brésil, ont adopté des lois-cadres visant à reconnaître et à renforcer l’ESS. Ces législations offrent aux acteurs de l’économie sociale et solidaire la possibilité de se développer, d’expérimenter de nouvelles approches, et de contribuer de manière plus significative à l’économie. Cependant, il reste encore des défis à relever, notamment en ce qui concerne les cadres légaux spécifiques aux coopératives, en particulier pour les nouvelles formes telles que les plateformes coopératives. Un travail approfondi d’adaptation et de clarification des régimes juridiques est nécessaire pour soutenir leur développement et favoriser l’innovation dans ce secteur en pleine évolution.
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D’où vient ce changement de paradigme ?
Amal Chevreau : Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette nouvelle approche au modèle coopératif : par exemple, la prise de conscience de la part des consommateurs de la nécessité de faire des choix de consommation responsables, la volonté de certains salariés d’entreprendre collectivement et de participer à la gouvernance de leur entreprise, ou encore l’importance de repenser les stratégies de commerce et d’industrialisation au niveau local. D’autre part, dans beaucoup de pays, seules les coopératives permettent de rattacher certains secteurs d’activités au wagon de l’économie, notamment en milieu rural.

Est-ce que le modèle coopératif est finalement plus adapté à l’évolution de l’égalité hommes-femmes ?
Amal Chevreau : En principe dans une coopérative, chaque personne dispose d’une voix, indépendamment de son capital ou de sa position. Nos études ont montré que l’égalité entre hommes et femmes est généralement mieux respectée dans l’économie sociale. En effet, ces structures tendent à promouvoir une gouvernance plus équitable, où la participation de tous est valorisée.
Cependant, si les coopératives emploient beaucoup de femmes, elles occupent encore moins souvent des postes à responsabilités, notamment dans la gestion et la gouvernance. Cette situation reflète des défis importants que le modèle coopératif doit continuer à relever pour renforcer l’égalité réelle. Il s’agit notamment de favoriser l’accès des femmes aux postes de direction et de décision, de mettre en place des politiques internes visant à promouvoir une culture organisationnelle plus inclusive.
Ces enjeux sont essentiels si le modèle coopératif veut rayonner davantage, en étant à la fois un levier d’émancipation économique. En dépassant ces obstacles, le secteur coopératif pourrait jouer un rôle encore plus significatif dans la promotion de l’égalité homme-femme et dans la construction d’une société plus juste et inclusive.
*OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
NOTRE RÉSUMÉ EN
5 points clés
PAR L'EXPRESS CONNECT IA
(VÉRIFIÉ PAR NOTRE RÉDACTION)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : « Les coopératives permettent de rattacher certains secteurs d’activités au wagon de l’économie » : Amal Chevreau, OCDE
Expansion du modèle coopératif
Le modèle coopératif, de plus en plus populaire, se développe dans de nombreux secteurs et pays, comme l’agriculture, les services, le secteur bancaire et industriel. Il est devenu une réponse aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux actuels.
Un modèle économique inclusif
Les coopératives favorisent l’emploi local, respectent l’environnement et soutiennent des pratiques commerciales responsables. Elles contribuent également à renforcer le tissu social en impliquant activement les communautés dans la prise de décision.
Une législation favorable à l'innovation
De nombreux pays, dont la France, l’Espagne, et le Mexique, révisent leurs législations pour faciliter la création de coopératives. Cela permet de soutenir l’innovation, notamment dans des secteurs comme la santé, l’éducation et les technologies.
Impact sur l'égalité hommes-femmes
Les coopératives favorisent la participation équitable des hommes et des femmes, mais des efforts restent nécessaires pour garantir l’accès des femmes aux postes de direction et renforcer l’égalité réelle dans la gouvernance.
Le modèle coopératif comme réponse aux défis contemporains
En permettant une gouvernance démocratique et une gestion partagée, les coopératives deviennent des acteurs clés pour répondre aux besoins économiques et sociaux, notamment dans les zones rurales et les secteurs stratégiques.











