En septembre dernier, la liquidation judiciaire de Camaïeu (plus de 500 magasins), enseigne de distribution dans le prêt-à-porter féminin créée en 1984 et détenant encore 10 % du marché national juste avant la Covid, a ému le pays, attaché à cette marque.
La question se pose pour d’autres réseaux : que deviendraient les franchisés en cas de dépôt de bilan de leur franchiseur, et de quelle liberté disposeraient-ils ? Et surtout, comment anticiper cette situation, dès les prémices, pour ne pas arriver à cette extrémité ?
Attention focalisée sur la recherche de trésorerie
Avant même l’apparition d’éléments sur un bilan, tout franchisé peut savoir ou ressentir que son franchiseur connaît des difficultés financières en observant :
- Un réseau moins dynamique sur l’animation (passage des animateurs plus espacés qu’auparavant),
- Moins de recrutement de nouveaux franchisés,
- Des contacts limités avec l’équipe du franchiseur,
- Une moindre assistance de la tête de réseau, voire une réduction du personnel,
- Etc.
Plusieurs signes, plus subtils, peuvent être relevés. « Par exemple, quand le franchiseur apporte une réponse floue ou parfois ne répond pas du tout sur l’utilisation de la redevance de communication. Il peut l’avoir utilisée pour un usage auquel elle n’était pas destinée…
Autre cas : dans une franchise de distribution, si le franchiseur en difficulté est le producteur ou le fournisseur, le franchisé aura du mal à se faire livrer ses produits, et s’il passe par des fournisseurs, leur confiance sera altérée, ils deviendront sans doute plus exigeants sur les conditions de paiement.
La difficulté du franchiseur peut aussi résulter en une forme de désintérêt pour le franchisé : plus de contrôles de l’application du concept, plus d’évolution dans le savoir-faire du réseau, plus d’interrogation du franchisé pour savoir si tout va bien.
L’attention du franchiseur est alors focalisée sur la recherche de trésorerie. Son équipe peut ne plus répondre du tout. Il peut aussi se claironner que le franchiseur est à vendre, car l’une des solutions qui se présente à lui est de faire entrer un actionnaire pour redonner du souffle à l’enseigne », explique Hubert Bensoussan, avocat spécialisé dans la défense des franchiseurs.
Réduction opportune des prélèvements de redevances
Les services contractuels se dégradent alors : délais de réponses qui se rallongent, difficulté d’obtenir en direct des interlocuteurs, équipes de la tête de réseau surchargées de travail, apparition de dysfonctionnements comme des bugs logistiques, prix d’achat de la marchandise moins bien négociés, raréfaction des visites sur le terrain…
« Ces difficultés peuvent être dues à de mauvais choix opérationnels du franchiseur ou investissements hasardeux. La correction de cette carence, en changeant l’équipe voire la personne du franchiseur en place, a déjà suffi, dans le passé, à relancer un réseau disposant des mêmes produits et sans changement des franchisés !
Autre cas, pour un réseau avec de nombreux chefs d’entreprise en location-gérance : l’enseigne a sauvé son patrimoine, suite à une forte baisse du chiffre d’affaires des points de vente, par un avenant temporaire au contrat, qui organisait, pour une période donnée, des facilités accordées au franchisé. Celles-ci peuvent être assorties de contreparties, comme la rénovation du point de vente, ou encore un report de la dette existante jusqu’au retour à une situation rentable du franchisé.
Le franchiseur doit décider de l’opportunité d’agir ainsi, par exemple pour éviter des dépôts de bilan. Mais dans ce cas, il réduit ses propres prélèvements de redevances. » souligne Olga Zakharova-Renaud, avocate associée du cabinet BMGB et membre du Collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise
Vigilance à maintenir dès l’apparition des premiers symptômes
Le franchisé ne se rend pas compte immédiatement du changement de situation. D’où une vigilance à maintenir. « Le dernier trimestre de l’année doit être l’occasion de remettre en cause la stratégie et les objectifs du réseau, à travers un état des lieux, pour éventuellement se repositionner, et par une pertinente répartition des budgets, pour poursuivre le développement de l’enseigne. Ce n’est pas parce que les franchisés ne se plaignent pas et que les chiffres sont bons qu’il faut se reposer sur ses lauriers. Si cette analyse annuelle est reportée, c’est souvent à un moment trop juste ou trop tard !
Par ailleurs, le manuel opérationnel n’est pas un grimoire : il évolue pour apporter régulièrement des innovations, issues de la pratique dans les unités-pilotes, et notamment d’expérience de clients qui apparaissent et qu’il faut savoir traiter pour garder son avantage concurrentiel. » précise Caroline Morizot, conseil en stratégie franchise.
Conseil consultatif ou association de franchisé
S’il entre dans une phase de difficultés, le franchiseur, va tenter de trouver des solutions, sans tout dévoiler de ses problèmes. « Les animateurs, intermédiaires entre le point de vente et la tête de réseau, ne sont pas toujours informés de difficultés de l’enseigne, bien qu’étant des interfaces. Les franchisés, en cas de doute sur un problème financier du franchiseur, doivent remonter directement à la direction.
Si le conseil consultatif peut être un moyen, avec un délai souvent long par rapport à l’urgence constatée, le mieux est de déclencher une réunion avec le franchiseur pour parler de la problématique tout en le renvoyant à ses obligations » reprend Caroline Morizot.
« Le « conseil consultatif » ou toute autre instance de dialogue existante au sein du réseau reste un lieu approprié pour échanger sur les difficultés du franchiseur, les franchisés partageant leur ressenti du terrain bien davantage que des salariés de succursales. », poursuit Olga Zakharova-Renaud.
Ni discréditer ni déstabiliser le franchiseur
Le franchisé doit cependant prendre conscience de son obligation de réserve. « Tout franchisé ne doit ni discréditer ni déstabiliser le franchiseur, selon la jurisprudence. Il peut partager des doutes sur ce problème financier en discutant avec ses pairs, pour leur demander ce qu’ils pensent de l’attitude du franchiseur, par exemple sur l’absence de visites en animation.
Les franchisés peuvent se réunir, comparer les informations observées et aller voir le franchiseur, pour échanger sur le sujet. Voire regarder les autres réseaux, pour connaître leurs conditions pour en rejoindre un, car il est important de devancer l’appel en cas de manquements caractérisés du franchiseur résultant de sa carence financière.
Il reste compliqué d’obtenir l’aide de franchisés qui, privés de communication ou d’animation, ne seront pas objectifs. Un éventuel soutien financier de leur part est réservé au microcosme des excellents franchisés. Le cas échéant, ceux-ci doivent se montrer vigilants et faire réaliser un audit par des consultants spécialisés pour déterminer si la situation est irrémédiablement compromise ou pas », clarifie Hubert Bensoussan, avocat spécialisé dans la défense des franchiseurs.
Le franchiseur n’est pas tenu de parler de ses difficultés, mais peut le faire, compte tenu d’une ambiance en interne dégradée, à la représentation des franchisés, sans être obligé de révéler les chiffres exacts.
« D’autant plus qu’en cas de crise avec le réseau, il s’expose à des procès de franchisés pour non-exécution de ses obligations. Mieux vaut prévenir que guérir. Transparence et recherche de solutions communes sont toujours appréciées par les partenaires commerciaux.
Parfois, les franchisés prennent une participation dans l’entreprise du franchiseur, mais ce n’est pas leur rôle de trouver des solutions : ils ont payé pour bénéficier d’un avantage concurrentiel et pouvoir réitérer la réussite initiale du concept. C’est au franchiseur d’être créatif pour que la franchise soit toujours « une réitération de la réussite » et qu’elle apporte aux franchisés l’avantage concurrentiel pour lequel ils ont contracté », rappelle Olga Zakharova-Renaud.
Partager ses difficultés avec le réseau
Il reste cependant difficile, pour le franchiseur, de parler de ses propres difficultés. « D’une part parce que l’information doit rester confidentielle au sein du réseau, et d’autre part, parce qu’il n’aime pas montrer qu’il est en situation d’échec. Il veut d’autant moins évoquer un éventuel dépôt de bilan avec ses franchisés, qu’il a toujours un espoir de redémarrage positif, notamment grâce à un nouvel actionnaire.
Mais en bout de piste, le franchiseur sait sa fin prochaine. Le plus souvent, il se tait. Il a tort. La franchise est un partenariat, il doit informer les franchisés de ses difficultés. D’autant que dans certains réseaux, des franchisés sont plus riches que le franchiseur, et parfois aptes à reprendre le réseau, comme cela s’est déjà vu.
Les franchisés demeurent les personnes plus à mêmes de sauver l’entreprise : ils ont intérêt à la réussite de cette opération et disposent des clés de ce qui marche le mieux en matière de savoir-faire. Ils doivent une confidentialité sur le sujet à l’égard de tiers.
En franchise, la réitération d’une réussite doit être maintenue en permanence : il faut donc comprendre la source du problème du franchiseur, apporter des solutions pour le résoudre, comme une levée de fonds en interne au nom du partenariat », propose Hubert Bensoussan.
Si le franchiseur manque à ses devoirs après le dépôt de bilan
Si la situation arrive à une extrémité, telle qu’envisager un dépôt de bilan, il faut savoir que le franchisé n’a pas le droit de résilier son contrat parce qu’une procédure collective judiciaire est engagée. « Tous les griefs antérieurs au dépôt de bilan ne peuvent faire de demande autre que dans le cadre d’une déclaration de créances qui donne rarement lieu à paiement.
Le mandataire judiciaire désigné peut demander la résiliation des contrats de franchise, mais il n’a pas intérêt à le faire pour sauver ou vendre l’entreprise franchiseur car leur maintien est alors fondamental. Si le franchiseur manque à ses devoirs après le dépôt de bilan, le franchisé peut résilier le contrat pour faute.
Le franchisé peut avoir intérêt à rester en place dans le réseau, en faisant savoir que ses difficultés financières sont engendrées par la carence et la faiblesse du franchiseur. Pour arborer une autre enseigne, qui récupère des points de vente à titre gratuit, il bénéficie d’une marge de négociation importante, par exemple, à travers une exonération ou minoration de redevances, ou un décalage de leur paiement. Mais heureusement, les dépôts de bilan de franchiseurs restent fort rares en France, en proportion du nombre de réseaux », indique Hubert Bensoussan.
Une procédure de sauvegarde n’est pas une cause de rupture du contrat, « les franchisés ne peuvent donc pas quitter le réseau sauf en cas de changement de la personne du franchiseur – en raison de l’intuitu personae – même si la plupart des contrats de franchise excluent cette possibilité.
À la barre du Tribunal, le droit des procédures collectives prime sur les libertés contractuelles. Les franchisés n’ont pas la possibilité de s’opposer à la cession des actifs du réseau dans le cadre d’un plan de redressement, ni de pouvoir partir, sauf si ce cas est prévu par contrat, ou en cas d’accord amiable de la part du franchiseur. Cette solution peut s’avérer la meilleure, car il reste difficile de travailler avec des franchisés réfractaires au nouveau propriétaire du réseau.
Enfin, en cas de liquidation du réseau, sans cession des actifs, tout le monde est libéré car il n’existe plus de franchiseur », développe Olga Zakharova-Renaud.
Entrée au capital des principaux franchisés ?
En cas de redressement judiciaire, voire de procédure de sauvegarde, les franchisés sont informés de la situation par le franchiseur
« Le franchiseur peut, sans obligation de sa part, leur donner l’autorisation de reprendre leur liberté, au regard des clauses de non-concurrence et de non-affiliation. La marque-enseigne peut être rachetée par un master franchisé étranger pour ne plus être utilisée. Ou encore, elle est parfois englobée dans une autre enseigne.
En passant dans un autre réseau du même secteur d’activité, le franchisé ne doit pas négliger le coût à anticiper, même en l’absence de droit d’entrée : formation à faire, remise aux normes, réaménagement intérieur strict… Mieux vaut détenir la trésorerie pour réussir le changement d’enseigne !
En cas de difficultés du franchiseur, les principaux franchisés peuvent entrer au capital en tant qu’associés, une opération à effectuer en connaissance de cause – notamment de la situation financière exacte – et en croyant encore en la personne du dirigeant de réseau.
Un plan d’actions est à mettre rapidement en œuvre… et le franchiseur, voire son équipe salariée, n’est pas forcément conservé dans le réseau », conclut Caroline Morizot, conseil en stratégie franchise.