[Tribune] Du fait de la réalité démographique, un quart des commerces indépendants seront à céder dans les 10 prochaines années. Faute de repreneurs, ce sont des milliers de points de vente qui disparaîtront et, avec eux, du lien social dans les territoires et des services de première utilité pour de très nombreux concitoyens. Répondre à ce qui constitue une véritable menace requiert la mise en place par les pouvoirs publics d’un plan d’envergure autour de la transmission d’entreprise.
La transmission d’entreprise s’est progressivement imposée comme un enjeu politique et économique majeur. Mais qu’entend-on exactement par transmission d’entreprise ? En effet, que l’on se réfère à la cession à un tiers extérieur qui représente 80% des transmissions ou à la cession à un membre de la famille ou à un salarié pour les 20% restants, à un commerce de proximité ou à une entreprise de tout autre secteur d’activité, les réalités divergent largement. En effet, quand la transmission d’un commerce se situe dans un rapport de 4 à 5 vendeurs pour 1 seul repreneur, pour tous les autres secteurs le rapport est l’exact inverse, soulignant de fait une difficulté bien spécifique au secteur du commerce. Et ce constat devient alarmant lorsque l’on sait que plus de 25% des commerçants indépendants ont plus de 60 ans annonçant de fait une vague massive de cessions dans les 10 années à venir. Dans le secteur du commerce en particulier coopératif et associé, ce ne sont pas moins de 30% des points de vente qui seront à reprendre dans les 10 prochaines années.
En l’absence d’un plan volontaire et ambitieux d’urgence des pouvoirs publics visant à soutenir une transmission facilitée des commerces, ce qui menace est un drame économique et social. Autrement dit, faute de repreneurs, la disparition pure et simple de milliers de commerces se traduira par une perte significative de lien social sur les territoires et de services de première utilité pour la majorité de nos concitoyens vivant en milieu rural, et dans les petites et moyennes villes. Le coût humain et économique sera ici infiniment plus important pour l’Etat que s’il décide d’agir en amont, dès maintenant pour l’éviter.
Un plan d’urgence pour préserver le tissu des PME en France
Une étude récente réalisée par CCI France (1) souligne que seuls 52% des chefs d’entreprise interrogés envisagent la cession quand plus de 40% n’ont tout simplement pas connaissance du processus de transmission ! Mais alors, comment expliquer une telle situation autour d’un enjeu pourtant majeur ? L’explication est évidemment multifactorielle. Selon un rapport du Sénat (2) de 2022, le manque d’information autour des dispositifs d’aide existants, d’anticipation des chefs d’entreprise, d’accompagnement financier à la hauteur, de simplification administrative, de cadre juridique plus adapté ou bien encore la conjoncture économique et la valorisation élevée des commerces, constituent les principales causes d’un volume de transmission trop faible. Si l’on en croit les chiffres donnés par BPCE L’Observatoire (3), il y a en effet de quoi s’inquiéter : plus de 185 000 entreprises seraient susceptibles d’être transmises chaque année en France pour un volume de cessions réalisées en baisse pour tomber à 51 000 environ actuellement.
Renforcer et étendre le Pacte Dutreil
En ce sens, la loi pour l’initiative économique plus connue sous le nom de loi Dutreil en référence à son auteur, Renaud Dutreil alors secrétaire d’Etat aux PME, adoptée en 2003 vise à faciliter la transmission d’entreprise en allégeant la fiscalité et en facilitant la démarche administrative sur les donations et les successions. Pour résumer, le dispositif prévoit sous condition de la signature d’un engagement de conservation des titres de plusieurs associés de l’entreprise pour une durée de deux ans, un abattement de 75 % sur la valeur des titres ou de la valeur de l’entreprise individuelle transmise. Le Pacte Dutreil est rapidement devenu incontournable dans le cadre des transmissions de point de vente dans le commerce largement plébiscité par les réseaux d’indépendants sous enseigne qui y voient un moyen efficace de préserver leur modèle. De fait, depuis, différentes mesures ont été adoptées afin de moderniser et d’assouplir le régime du Pacte Dutreil et d’en renforcer les effets. On retient plus particulièrement la loi de finances de 2019 facilitant la transmission entre vifs ou par décès ou bien encore la mise à jour du Bulletin officiel des finances publiques en 2021. Dès lors, on ne peut que s’étonner qu’à rebours de ce que la situation commande de faire et de ce que des institutions telles que le réseau consulaire des Chambres de Commerce et d’Industrie, de la BPCE et de BPI préconisent, une initiative parlementaire ait voulu profiter du PLF 2024 pour remettre en cause l’existence à court terme du Pacte Dutreil. Devant l’émoi suscité et les nombreuses critiques, l’amendement fut retiré.
Il n’empêche, il faut en retenir deux points : d’abord que le Pacte Dutreil doit être sanctuarisé afin d’éviter de futures attaques, ensuite que le dispositif reste insuffisant pour répondre au défi des transmissions massives dans les prochaines années. En conclusion, faire de la transmission et de ses enjeux économiques et sociaux une grande cause nationale et une priorité pour les pouvoirs publics est un impératif si l’on veut préserver le tissu des PME, l’existence du commerce sur les territoires et l’emploi de centaines de milliers de salariés.
(1) CCI France : La transmission d’entreprise demeure un processus complexe à appréhender | CCI – Chambre de commerce et d’industrie (www.cci.fr)
(2) Rapport n° 33 du Sénat : r22-0331.pdf (senat.fr)
(3) BPCE : BPCE L’Observatoire: étude 2019 cession-transmission entreprises (groupebpce.com)