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La liberté de l’entrepreneur : fantasme ou réalité ?

Photo de couverture : liberté de l'entrepreneur

« Je veux être mon propre patron », « Je ne veux pas recevoir d’ordre de quelqu’un d’autre », « Je veux être libre et indépendant ». Les raisons de se lancer dans l’entrepreneuriat sont multiples et propres à chacun. Toutefois, beaucoup tournent autour de l’idée d’un entrepreneur libre de faire ce qu’il veut, quand il veut et de la façon qu’il veut. Mais l’entrepreneur est-il si libre que cela ? Quelle est cette liberté dont il jouit ? Existe-t-elle vraiment ou n’est-elle qu’un fantasme ?


Pour répondre à ces questions et peut-être déconstruire l’idée reçue, si populaire, selon laquelle l’entrepreneur est un être parfaitement libre, nous avons interrogé deux cheffes d’entreprises. Fortes de leur expérience et de leurs réflexions, elles nous apportent une réponse plus nuancée, presque philosophique, et interrogent la définition même du mot liberté. 

L’entrepreneur libre : l’origine d’une idée reçue

Mais d’où nous vient cette image d’un entrepreneur libre de toute contrainte qui fait ce qui lui chante ? Si l’on devait être vraiment honnête, nous imaginons bien que le métier d’entrepreneur n’est pas synonyme de liberté absolue, ne serait-ce que parce qu’il doit répondre aux commandes de ses clients, ou aux attentes de ses employés. Aussi, l’apparente liberté de l’entrepreneur se construit en règle générale en opposition à celle du salarié. Là où l’employé d’une entreprise doit se plier à des process déjà établis, adopter une vision construite avant son arrivée, respecter des horaires stricts et répondre à une fiche de poste détaillée, l’entrepreneur peut, lui, décider de toutes ces choses. 

Une explication qu’avance Laura Lesueur, fondatrice et CEO de Legendaily, formations et conférences inspirantes en entreprise, et du Media Legend Ladies. Pour elle, ce fantasme serait aussi culturel : « En France, on a tendance à montrer les résultats de la réussite entrepreneuriale, mais on a du mal à parler du coût de cette réussite. Il y a une sorte de pudeur, de timidité et une connotation trop négative rattachée à l’idée d’obstacle et d’échec. Cette image rêvée du patron à succès totalement libre est donc une idée reçue qui est évidemment en opposition avec le fonctionnement d’entreprises ultra pyramidales où il y a beaucoup de micro-management, de process, de hiérarchie. Ce contexte-là crée le fantasme de la liberté de l’entrepreneur, alors que ce n’est pas tellement le cas. »

La liberté toute relative de l’entrepreneur

Mais alors, l’entrepreneur est-il libre, oui ou non ? Une question digne d’un sujet de philosophie du BAC à laquelle nous sommes bien tentés de répondre : « Ça dépend ». Car oui, nous touchons-là à un casse tête philosophique qui nous oblige à faire appel à la notion de « liberté relative » face à la « liberté absolue ». Laura Lesueur relève cette différence en statuant que, non, l’entrepreneur n’est pas libre dans l’absolu, puisque lui aussi subit des contraintes : les deadlines de ses clients, les obligations de rentabilité, les règles du marché, etc. Cependant, pour la cheffe d’entreprise, la liberté de l’entrepreneur réside dans le fait qu’il est en mesure de choisir les contraintes auxquelles il est soumis. 

« Évidemment, la liberté des entrepreneurs telle qu’on la fantasme existe d’une certaine manière. Effectivement, quand on entreprend il n’y a pas de contrainte issue d’un management ou d’une autorité supérieure puisqu’on est aux commandes. Il n’y a pas de contrainte de temps, puisqu’on gère son propre emploi du temps. Il n’y a pas non plus de contrainte liée à notre adhésion aux politiques de l’entreprise. Maintenant, il y en a d’autres qui apparaissent : la responsabilité, l’organisation, la communication, l’argent, etc. Si on y réfléchit bien, cela peut être conçu comme l’inverse de la liberté, parce que quand tout dépend de nous, on devient responsable de tout. Aussi, la liberté de l’entrepreneur, c’est de pouvoir choisir ses propres contraintes. Celles-ci, parce qu’elles sont choisies voire souhaitées et qu’elles sont un moyen pour atteindre un objectif, ne sont plus subies. On sait pourquoi on le fait. C’est une question d’état d’esprit, en fait, derrière la question de la liberté se cache celle du sens. »

La liberté de l’entrepreneur serait-elle de donner un sens à son travail ?

Il existerait donc un lien entre la liberté et le sens que l’on donne à nos actions ? Les entrepreneurs qui se lancent seraient-ils finalement davantage en quête de sens que de liberté ? La question mérite d’être posée et interroge sur les raisons qui poussent à entreprendre. Pour Laura Lesueur, la liberté n’est effectivement pas la première d’entre elles. « Moi-même je m’étais lancée dans l’entrepreneuriat pour les mauvaises raisons. J’avais fait un choix d’opportunité. C’est-à-dire que j’avais trouvé une idée qui pouvait répondre à un besoin : le parfait product market fit, si on veut. Sauf que, pour garder un élan, une conviction, il ne faut pas partir d’une opportunité, mais vraiment de ce qu’on a envie de transmettre. Les questions qu’il faut vraiment se poser avant de se lancer sont : « Pourquoi ? À quoi j’ai envie de contribuer ? » Aussi, être libre, c’est peut-être être en mesure de faire ce qui a du sens pour nous. Or, ce sens n’est pas uniquement accessible à des entrepreneurs et chacun, quelle que soit sa situation professionnelle peut alors éprouver ce sentiment si précieux de liberté. 

« Que ce soit dans l’entrepreneuriat ou dans l’entreprise, quand on sent qu’on est en train de créer et de contribuer à quelque chose qui a du sens, les contraintes portent elles aussi ce sens » confirme Laura Lesueur. Sur ce point, Anaïs Gauthier, fondatrice de l’École d’écologie personnelle®, Vivre l’essentiel, rejoint l’avis de Laura Lesueur. À ceci près que, pour elle, l’entrepreneuriat n’est pas nécessairement synonyme de sens. « Je connais des entrepreneurs qui savent où ils vont, qui ont une vision pour leur entreprise, qui ont des objectifs bien précis, etc. Mais ça ne donne pas vraiment de sens à leur vie. Donc, pour moi, c’est là que se trouve la limite. » Un salarié peut donc parfois se sentir plus libre et trouver plus de sens à ce qu’il fait qu’un entrepreneur.

Liberté ou pas : et si c’était dans notre tête ?

La liberté ne dépendrait alors pas du cadre, de l’environnement de travail ou du contexte, mais se trouverait en fait dans notre tête. Nous construisons nous-même un cadre rigide, un environnement qui ne nous convient pas. C’est ce que nous laisse entendre Anaïs Gauthier. Entrepreneure depuis une vingtaine d’années, elle a toujours su qu’elle voulait être à la tête de son entreprise. Mais, si elle a toujours été entrepreneure, elle a parfois souffert durant son expérience. Une souffrance dont elle revendique avoir été la première responsable. « J’ai toujours été entrepreneure parce que j’avais ce besoin de liberté et d’autonomie qui était extrêmement fort. Mais sans m’en rendre compte, au fil des années, j’ai en fait suivi sans les questionner les codes qui sont à la fois ceux de la société, de l’entrepreneuriat et du travail. J’ai souffert de la façon dont je m’étais enfermée dans un rythme de vie et de travail où j’étais tout le temps en sur-adaptation parce que je tentais de me plier aux codes, à l’image que j’avais d’une personne professionnelle, d’une réussite professionnelle. »

Au travers de son récit, on comprend alors que nous sommes bien souvent notre propre tôlier, que l’on soit entrepreneur ou salarié d’une grande boîte. Il ne dépendrait alors que de nous de nous sentir libres ou au contraire prisonniers. « À mes débuts, je m’étais construit une prison alors même que je me trouvais aux commandes de tout. Et je ne me sentais pas du tout libre. J’avais l’impression d’être extrêmement contrainte par les clients, par les contrats, par les échéances. Puis un jour, j’ai pris conscience que j’étais responsable de ça et tout a changé. C’est ce qui me fait dire que la liberté est un sujet intime et personnel qui n’est pas lié à l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, je suis en décalage des rythmes communs considérés comme la norme, que l’on prenne comme référentiel le milieu entrepreneurial ou le salariat. Je pars de moi maintenant, de mes cycles d’énergies. » Et Anaïs Gauthier de conclure : « Aujourd’hui, tout le monde veut vous accompagner pour devenir entrepreneur. Mais je pense que ce qui est absolument essentiel à chacun, c’est de trouver son propre équilibre. La forme que cela prend importe peu. »

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