Travailler en famille : mémento des bonnes pratiques en réseau

Travailler en famille offre de multiples avantages tout en imposant certaines exigences. Expériences de réseaux et essentiel juridique en la matière.

Travailler en famille offre de multiples avantages (relation de confiance instaurée d’emblée, mode de management plus souple…), tout en imposant certaines exigences (distinguer le travail de l’entraide familiale, prévenir les risque d’animosité entre frères et sœurs, etc). Expériences de réseaux et essentiel juridique en la matière.


Envie de jouer des codes d’une enseigne

Concept de vente de matériaux de construction, d’aménagement et de rénovation, le groupement Tout Faire (450 points de vente) s’est développé au cœur de l’économie des campagnes à travers 60 % d’entreprises familiales, certaines en étant à leur 4e génération.

« Les nouvelles générations de repreneurs en famille, étudiantes, possèdent un profil commerce et communication, alors qu’auparavant, elles étaient plutôt autodidactes. Elles se détournent de la technique pour faire connaître les talents et services du magasin, par exemple en mettant l’accent sur le show-room ou les nouveautés.

Si la stratégie de développement à long terme est certes facilitée par les liens déjà existants, poursuivre l’histoire familiale peut représenter un fardeau. Les parents doivent avoir la maturité de dire à leurs enfants qu’ils sont libres de ne pas accepter de prendre leur suite. La famille est bien le dernier lieu où l’on parle de cession d’entreprise », explique Charles Gaël Chaloyard, directeur général Tout Faire.

Parents croyant en la jeunesse…

Après un cursus en commerce et gestion, et près de dix ans à travailler avec ses parents, Laurence Desangle s’est vu proposer, avec son beau-frère, Nicolas Sibelet, entré peu après elle dans l’entreprise, de reprendre l’affaire familiale Tout Faire de Villebois-Lavalette (Charente). 

« Je n’ai posé que deux conditions : ne pas se fâcher avec mon frère, banquier de profession et qui m’a toujours encouragée dans cette voie, au moment du partage lié à la cession, et que ma sœur n’intervienne pas dans le quotidien de l’entreprise.

Autour d’une table, conseillés par notre avocat juridique et notre expert-comptable, nous avons trouvé un juste accord sur la donation des parts de l’entreprise et de la SCI détenant l’immobilier professionnel, avec ma sœur, professeur de physique-chimie, devenant actionnaire sans être décisionnaire, et mon frère, qui ne travaillait pas dans l’entreprise. Nous avons créé une holding pour remonter les dividendes de l’entreprise familiale et subvenir aux remboursements des prêts pour effectuer le rachat des parts de mes parents », explique Laurence Desangle.

… Et confiant les clés, sans s’attarder dans l’entreprise 

Une réussite ! Ce duo complémentaire, l’une gestionnaire et toujours prête à se lancer dans un nouveau projet, l’autre technique et sachant tempérer son associée, développe un second point de vente. Il apporte aussi de nouveaux outils, comme en gestion, et utilisent davantage les services du Groupement.

« Après la cession, durant trois mois, mon père n’est pas revenu dans l’entreprise, ce qui nous a facilité le management avec les salariés, dont certains nous connaissaient depuis que nous étions enfants et qui craignaient d’être mangés par de « jeunes loups ». Le management de nos parents était plus exigeant avec nous qu’avec eux ! Notre porte est restée ouverte pour tous types d’échanges avec nos collaborateurs, simplifiant la transition.

Certains anciens clients ont su comprendre, parfois avec des années de décalage, que les règles du commerce avaient changé depuis 20 ans, tandis que d’autres sont arrivés pour cette même raison.

Mes parents ont joué le rôle de nounou avec mes enfants alors qu’ils n’avaient pas énormément de temps à nous consacrer…

Quand nous ne sommes pas d’accord avec mon beau-frère, cela reste entre nous, personne ne le sait, y compris ma sœur. Ce qui nous permet de garder notre intimité de chefs d’entreprise associés. Cette complicité indéniable, seul un lien familial peut la créer ! », retrace Laurence Desangle.

Résister à la tentation du népotisme 

La configuration du concept Norauto (420 centres), alliant magasin de vente et atelier, offre également une diversité des tâches, de postes vivants (conseil, mécanicien, recrutement, management…) et donc de rôles à se répartir au sein d’une même famille.

« Quand le candidat se présente sous forme d’un couple, ce qui représente 40 % de nos franchisés, on s’attache à valider les deux, en recherchant la complémentarité des compétences, puis à les former. Idem avec un enfant. Ils doivent créer un environnement stimulant pour les équipes et offrir beaucoup de disponibilité, avec une vaste amplitude horaire du lundi au samedi », relève Jean-Pierre Gumez, responsable franchise Norauto.

Dans toute entreprise familiale, il faut savoir résister à la tentation du népotisme : accorder des postes à responsabilités à des membres de sa famille sans qu’ils possèdent les compétences nécessaires, attribution de bonus et de primes injustifiées…

« Compte tenu de l’investissement initial pour le concept, il reste fondamental de ne pas proposer des revenus disproportionnés, y compris aux membres de sa famille, et plutôt d’intéresser financièrement les collaborateurs, au résultat ou encore à l’activité de l’atelier », souligne Jean-Pierre Gumez.

Entreprise traitée comme un business, et non comme une famille

« Le cas des actionnaires de l’affaire qui ne sont pas présents sur le terrain reste difficile à gérer. Il demeure des non-dits, comme sur la SCI qui détient le patrimoine, l’actionnariat ou le salaire. De la transparence reste à instaurer au sein des entreprises familiales, de même que de l’exemplarité vis-à-vis des tiers, pour ne pas perdre leur engagement. Toute entreprise est à traiter comme un business, et non comme une famille », ajoute Charles Gaël Chaloyard, dont le réseau s’est doté d’un club de repreneurs, proposant une formation davantage comportementale que technique.

Chez Norauto, la transmission de l’entreprise au sein de la famille répond aux règles de la reprise sous enseigne. « On ne met pas en avant la compétence mécanique du repreneur, mais sa capacité à développer un savoir-être, ainsi qu’un savoir-faire pour redynamiser le produit et l’affaire. La transition, en famille comme avec un collaborateur, s’opère par une montée en puissance de la personne pressentie, afin de bien comprendre le modèle pour s’intégrer au fonctionnement et aux valeurs de notre enseigne », précise Jean-Pierre Gumez.

La France, « paradis fiscal de la transmission familiale »

Dans ce cas, le dispositif Dutreil offre au dirigeant de se projeter et de se préparer à une transmission familiale.

« Le pacte Dutreil permet de diviser par quatre l’assiette des droits de donation en échange d’engagements stricts. De plus, une réduction de droits de 50 % peut être appliquée si les parents donnent leur entreprise en pleine propriété avant l’âge de 70 ans. Enfin, le paiement des droits de donation peut être étalé sur 15 ans si la donation porte sur la pleine propriété de la totalité d’une entreprise individuelle ou 5 % au moins du capital social d’une société.

La donation peut aussi s’opérer en démembrement de propriété : la nue-propriété de l’entreprise est donnée à l’enfant, tandis que les parents gardent l’usufruit de l’entreprise, celle-ci revenant en pleine-propriété à l’enfant donataire au moment de leur décès.

Cela confère à la France un état de « paradis fiscal de la transmission familiale », d’autant plus si les parents deviennent donateurs tôt », souligne Fabrice Delouis, avocat associé Delcade.

La mise en place d’un pacte Dutreil nécessite déjà de s’organiser, pour faire grandir le repreneur pressenti, et d’anticiper les choix de ses enfants (en particulier si l’un veut reprendre et l’autre non).

« Le contrôle de l’entreprise s’anticipe aux niveaux techniques et psychologiques, avec une transmission progressive du pouvoir et la constitution d’une holding animatrice mixte. Signer un engagement collectif préventif permet de parer au décès soudain des donateurs.

En raison des clauses de son contrat et de l’intuitu personae, tout franchisé doit vérifier avec son franchiseur s’il peut transmettre l’entreprise sous enseigne à l’un de ses enfants. Le mieux, pour le futur donataire, reste de commencer à travailler avec ses parents en passant à plusieurs postes – administratif, technique, commercial – et de vivre une expérience hors de l’entreprise, pour montrer qu’il s’est construit en dehors de ses parents », conclut Fabrice Delouis.

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