Le jury réuni par L’Express en juin dernier a planché pour distinguer les acteurs du secteur de la franchise. Avec une mention spéciale à la société Oui Care, spécialiste du service à domicile, et son PDG Guillaume Richard.
Point besoin de l’affubler de qualificatifs, il se les attribue tout seul : « Un peu mégalomane et ambitieux, comme tout chef d’entreprise. » Et attiré par la lumière aussi. Pourtant, lorsque nous l’avons appelé pour fixer un rendez-vous, Guillaume Richard a mis près d’une journée avant de répondre. En s’excusant.
Mais lorsqu’il a compris quel en était le dessein – un portrait-rencontre pour mieux connaître la société Oui Care, qui a reçu le Grand Prix L’Express Franchise 2023 –, il a mis moins d’une demi-seconde pour dégager un créneau, tout en précisant : « Venez jusqu’à notre siège social au Mans ! » Et pour cause…
Le bâtiment achevé se veut la figure de proue d’une société qui compte 11 marques (dont O2, la principale, Apef, France Présence ou encore Interdomicilio), spécialisées dans les services à la personne : ménage et repassage (50 % des salariés), accompagnement des personnes âgées (35 %), garde d’enfants (12 %), soutien scolaire, jardinage, etc (3 %).
Dès le hall d’accueil s’affiche la philosophie-maison en lettres géantes : « Etre le groupe qui, au monde, porte le plus d’attention à ses salariés et à ses clients. » Le PDG assume : « Dès l’origine, en 1999, je voulais créer une entreprise qui ait un maximum d’impact sur la vie des gens. Or si vous voulez des clients satisfaits, il faut des salariés épanouis. »
Une croissance exponentielle
Le navire amiral a été conçu à cet effet : façade en bois, espaces de réunions soignés, terrasses aménagées, terrain multisports. Pourtant, malgré ses 450 salariés, l’ensemble ne représente que la partie émergée de l’iceberg puisque Oui Care compte plus de… 20 000 collaborateurs, 750 agences et un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, dont un tiers réalisé par des franchisés. « Ils nous permettent de nous développer de façon exponentielle en limitant les investissements et sans dégrader le compte d’exploitation », résume sans ambages le patron.
La courbe « exponentielle » se traduit par une croissance record (12,5 % encore attendus cette année), soit une hausse de 50 millions d’euros et 6 500 recrutements annuels. « Savez-vous qu’en 2022, on a reçu 250 000 candidatures, interroge Guillaume Richard ? Cela représente 1 % de la population active ! »
Pourtant, Oui Care peine à recruter et doit passer par des campagnes massives où elle propose des CDI à la pelle. « Si nous nous montrons si exigeants, c’est parce que nos clients le sont aussi : ils nous donnent les clefs de leur intimité en nous déléguant leurs tâches ménagères et nous confient ce qu’ils ont de plus précieux – leurs enfants et leurs parents », martèle ce presque cinquantenaire qui reçoit dans son bureau en jeans et polo siglé O2 (« Je dois être le premier commercial de la boîte »).
Alors, une fois qu’il a trouvé les « personnes de qualité », c’est chouchoutage à tous les étages. Ceux qui ont de nombreux déplacements à effectuer se voient proposer des voitures de fonction, qu’ils peuvent ensuite acquérir (exemple : une Dacia à 110 euros par mois).
Tous reçoivent un téléphone portable avec application Oui Care intégrée où sont consignées les heures de travail et où ils peuvent être notés par les clients. « Cela nous offre un baromètre en temps réel sur la qualité de nos prestations », promet Guillaume Richard pour désamorcer toute critique sur le côté Big Brother du dispositif.
Un contrat social poussé
Surtout, la société mise sur une politique de formation interne intensive, clef de son succès. Le siège abrite ainsi un centre dédié afin de préparer les encadrants, les franchisés et le plus grand nombre aux différents métiers du groupe. « La promotion interne concerne 40 % de nos effectifs et cela paie : une vingtaine de nos directeurs d’agences ont commencé comme simple intervenants à domicile », précise Guillaume Richard, jamais avare de chiffres.
Issu d’une famille « moyenne, bourgeoise et catholique » avec un père ingénieur et une mère médecin, il serait plutôt rousseauiste pépère. Ses employés viennent d’un milieu modeste ? Il les forme. Il tend aussi la main aux moins favorisés grâce à une cellule d’accompagnement vers l’emploi – seniors, handicapés, réfugiés politiques, titulaires du RSA, etc. « Cette année, on espère en embaucher un millier », assure-t-il. Ses employés sont à une écrasante majorité des femmes (90 %) ? Il crée un fonds de solidarité doté de 5 % des bénéfices afin de lutter contre les violences faites aux femmes.
Enfin, Guillaume Richard pousse son contrat social très loin. Le « capitalisme d’héritiers », très peu pour lui. « Je préfère que mes enfants soient heureux plutôt que riches. Ils doivent réussir par eux-mêmes. » Ses trois filles sont prévenues et, selon ses dires, « plutôt d’accord » avec leur père qui, en 2020, a commencé à faire entrer ses salariés dans le capital de la société en en offrant 10 % aux cadres et à ceux qui avaient dix ans d’ancienneté. « Je veux la fin de la lutte des classes : si mes salariés sont actionnaires, leurs intérêts se confondent avec ceux de l’entreprise », argumente-t-il.
Grand bien leur fasse puisque le patron affiche depuis toujours de grandes ambitions. « Dès 2005, j’ai dit que je voulais être n° 1 mondial du secteur. » Quitte parfois à aller un peu vite en besogne, comme lorsqu’il disait en 2013 viser 100 000 salariés dans quinze ans. Dix ans plus tard, il en est à 20 000, ce qui signifie qu’il lui reste cinq ans pour en trouver… 80 000.
« On me dit mégalo ? Sans doute. Mais je continue à penser qu’il est primordial d’afficher de grandes ambitions pour entraîner les autres. De cette façon, on s’oblige. » A penser sur le long terme, à se développer à l’international, à chercher de nouveaux collaborateurs. Et à se remettre lui-même en cause. « Je ne serai peut-être pas toujours la bonne personne pour diriger Oui Care. »