Covid, retournement de marché, inflation… Ces crises diverses impactent et affectent la santé économique de nombreuses enseignes. Dans ce contexte mouvant, le restructuring, qui consiste à réorganiser les entreprises en difficulté, bat son plein. Les explications de Charlotte Fort, administratrice judiciaire, associée au cabinet FHBX.
L’étude d’administrateurs judiciaires FHBX (11 associés, 17 bureaux en France) intervient aux côtés des entreprises pour résoudre des difficultés anticipées ou des crises de trésorerie avérées. Que ce soit dans le cadre d’une procédure amiable confidentielle (mandat ad hoc ou conciliation) ou d’une procédure collective (sauvegarde, redressement judiciaire), elle a accompagné de nombreux réseaux comme Celio, Jennyfer, La Halle, Sergent Major, DPAM, GoSport, Interiors, Flunch ou Orpea.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent la pratique de restructuration d’entreprise et le rôle des administrateurs judiciaires dans le processus ?
C’est un ensemble de procédures et d’outils qui permet à une entreprise en difficulté de recréer de la valeur. Peu de dirigeants le savent mais le droit français offre une palette de procédures souples et adaptées qui favorisent la continuité et le rebond. De façon schématique, les problèmes liés à la structure de bilan (financier) de l’entreprise se résolvent plus facilement dans un cadre amiable et les problèmes de compte de résultat (opérationnel), par les procédures collectives. Ces dernières permettent un travail sur la structure de charges de l’entreprise avec plus d’efficacité, même en l’absence immédiate de fonds. Que ce soit en amiable ou en judiciaire, notre mission consiste à trouver rapidement des solutions et à prendre les bonnes décisions pour assurer le redressement pérenne de l’entreprise.
Quelles sont les étapes à respecter ?
Il faut distinguer les procédures amiables (mandat ad hoc, conciliation) qui sont confidentielles des procédures collectives (sauvegarde, redressement) qui sont publiques et plus longues (12 ou 18 mois). Les outils amiables permettent de réunir les bons interlocuteurs autour de la table et de rythmer les négociations pour parvenir à une solution globale (rééchelonnement d’emprunts – PGE compris, recherche de financements nouveaux, opérations de recentrage sur le core business via des spin-off ou carve-out…). Les procédures judiciaires offrent de leurs côtés des outils dédiés au sauvetage avec des leviers uniques tels que le gel des dettes antérieures, la suspension du cours des intérêts pour les dettes à moins d’un an, l’intervention de l’AGS* pour l’avance des indemnités de licenciement, l’assistance d’un administrateur judiciaire dans la gestion… Elles permettent donc à l’entreprise de souffler et de se donner les moyens de restructurer rapidement son activité. Il ne faut pas considérer les procédures collectives comme une sanction mais plutôt comme une opportunité pour l’entreprise de recréer de la valeur.
Comment intervenez-vous auprès des entreprises ?
Nous faisons le diagnostic de la situation de l’entreprise sur le plan social, opérationnel et bien sûr financier. Concernant le volet opérationnel, nous intervenons, entre autres, pour organiser les suppressions d’emplois mais également auprès des fournisseurs pour négocier la reprise des relations commerciales. Au niveau financier, nous analysons les comptes annuels de l’entreprise, nous recherchons avec les dirigeants les postes à améliorer, nous mettons en place de nouveaux financements (Dailly, Factor, prêt relais…). Nous suivons également les performances de l’entreprise et l’élaboration du futur plan d’affaires qui sera mis en place en sortie de procédure.
Y a-t-il des particularités pour les réseaux de franchise ?
Nous travaillons particulièrement la réorganisation des points de vente déficitaires, les coûts d’approvisionnement auprès des fournisseurs, les conditions des baux commerciaux… Toutes les mesures permettant de réduire le BFR et la structure de charges de l’entreprise sont étudiées et négociées. Ce travail de terrain se fait en collaboration étroite avec le dirigeant qui reste maître à bord, et avec qui nous construisons un plan réaliste pour poursuivre l’activité.
Le restructuring ne se heurte-t-il pas à des biais psychologiques de la part des dirigeants dont l’entreprise se trouve en difficulté ?
Ils ressentent souvent une forme de solitude et de honte, comme si l’échec ou les difficultés étaient de leur seule responsabilité. Le Covid a cependant introduit une forme de déculpabilisation : la crise sanitaire a touché tout le monde, elle a libéré l’action et la capacité des chefs d’entreprise à se faire aider. Le sujet est devenu moins stigmatisant et moins tabou. Les exemples d’entreprises comme Célio qui ont très bien communiqué sur leur rebond ont également servi de modèles.
Quels signaux doivent alerter ?
La crise de trésorerie est l’ultime indicateur de la mauvaise santé de l’entreprise mais il existe en amont d’autres signes qui doivent attirer l’attention et faire réagir la direction. S’il y a des arbitrages dans les paiements courants, cela témoigne d’un mode de financement inadapté du BFR ou d’une rentabilité insuffisante. Les menaces de résiliation d’un contrat pour impayé, d’assignation en paiement d’un fournisseur ou de dénonciation d’un concours bancaire sont également à prendre au sérieux. Tout comme la carence ou l’insuffisance d’accompagnement comptable : un bon expert-comptable doit respecter les délais et alerter en cas de difficultés, même passagères. Le dirigeant doit accepter d’entendre ce regard professionnel. Sans cela, c’est le premier pas vers l’isolement, voire le déni des difficultés. Martelons-le, LE facteur clef de succès, c’est l’anticipation.
Vous avez accompagné Célio dans sa procédure de sauvegarde en 2021. Comment concrètement avez-vous aidé l’enseigne ?
L’entrée en sauvegarde a permis de protéger l’entreprise le temps de construire un plan de retournement efficace. La taille du réseau a été rationalisée avec la fermeture de plus de 100 magasins sur 450 et la suppression d’environ 400 postes. L’objectif était de ramener l’entreprise sur un périmètre viable sur le long terme et de faire progresser le CA au m2. En parallèle, l’enseigne a lancé des projets offensifs : collectionning, nouvelle plateforme de marque, nouveau modèle commercial. Elle a non seulement été sauvée mais est ressortie renforcée de cette période. Pourquoi ? D’abord parce qu’elle a anticipé (procédure de sauvegarde), ensuite parce qu’elle a communiqué sur son calendrier de sortie de sauvegarde et sur le fait d’avoir dépassé ses difficultés.
*Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet de la restructuration des entreprises en difficulté :
Stratégies de restructuration : La restructuration offre des procédures souples pour aider les entreprises à recréer de la valeur et à surmonter les crises financières ou opérationnelles.
Rôle clé des administrateurs judiciaires : Les administrateurs judiciaires jouent un rôle clé en diagnostiquant la situation de l’entreprise et en négociant des solutions avec les créanciers et fournisseurs.
Procédures adaptées : Les procédures amiables et collectives offrent différents outils pour la restructuration, incluant le gel des dettes et la réorganisation des charges.
Approche spécifique pour les réseaux de franchise : Pour les réseaux de franchise, la restructuration peut impliquer la réorganisation des points de vente et la négociation des coûts d’approvisionnement.
Impact Psychologique sur les dirigeants : Importance de l’anticipation et de la communication pour déstigmatiser les difficultés et encourager la restructuration proactive.