Dès la création d’un réseau de franchise, trois documents sont à générer avec l’aide de professionnels spécialisés :
- Le Document d’Informations Précontractuel : pour rendre l’enseigne attractive et bien sélectionner ses candidats à la franchise.
- Le contrat de franchise : pour l’adapter à son propre business-modèle, sans jamais oublier de conserver les preuves de ses échanges avec tout franchisé.
- Et la protection de la marque ainsi que de tout ce qui contribue à l’identité visuelle du réseau, pour une exploitation sans risque des franchisés (ni pour eux, ni pour le franchiseur) !
DIP : un formidable outil pour sélectionner les candidats à la franchise
Imposé par la loi Doubin dès 1989, le Document d’Informations Précontractuel (DIP) est obligatoire dès la mise à disposition d’une marque ou d’une enseigne en contrepartie une exclusivité ou quasi-exclusivité de distribution de produits ou de services sur un territoire donné. Pour la franchise, mais également en cas de licence de marque, de concession, de commission-affiliation, ou encore de commerce associé.
Il offre d’établir une relation entre la tête de réseau et le futur chef d’entreprise sous enseigne sur des bases saines, à partir d’une présentation complète du réseau. Objectif : que ce document ne soit pas, a posteriori, source de différends, voire de résiliation, pour protéger l’enseigne.
En outre, « le DIP constitue un outil pour le franchiseur, à qui il permet de sélectionner un candidat à la franchise, en fonction de la pertinence de ses questions, de sa manière d’appréhender le document ou de préparer une négociation. Et ainsi, de connaître la personnalité du candidat.
Si ce dernier se montre précis et ne considère pas l’analyse du document comme une corvée, il adopte une réaction adaptée par rapport aux attentes d’un candidat motivé. S’il n’est pas du tout curieux sur le document, cela doit interpeller le franchiseur : est-ce parce que le candidat est rodé au commerce en franchise ? Ou cela démontre-t-il une légèreté dans l’approche ? », précise Cécile Peskine, associée dans le cabinet Linkea Avocats et spécialisée dans la défense des franchiseurs (membre du collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise).
Entretenir la transparence réciproque
Compte tenu du devoir général de transparence des parties à un contrat, le DIP ne doit pas se limiter à la liste des obligations de la loi Doubin.
« Pour un réseau naissant, avec une faible antériorité, dans le but de se vendre de manière objective et non trompeuse, le franchiseur peut ainsi aller au-delà des textes, et remettre les comptes des établissements détenus en propre. Ce point qui n’est pas imposé par la réglementation mais souvent opportun car la société franchiseur ne dispose pas toujours d’une antériorité suffisante. En l’absence de comptes de la société franchiseur nouvellement créée, ces éléments peuvent permettre au candidat à la franchise de convaincre une banque que le franchiseur n’est pas qu’un débutant, et que son concept est rentable.
Cette transparence doit être réciproque : il est de bon ton pour le franchiseur de se renseigner sur le candidat, car il demeure dans un processus de sélection, pas simplement de recrutement. Par exemple, en lui posant des questions ouvertes sur son expérience, au niveau managérial notamment, et sur ses apports personnels. Il obtiendra ainsi des éléments de réponse sur la capacité à se vendre du candidat, potentiellement futur ambassadeur de la marque », observe Cécile Peskine.
Chaque clause doit être nécessaire et légitime
Avec la digitalisation, il est naturellement facile de trouver un modèle de contrat de franchise.
« Or, chaque enseigne possède un business-modèle propre, que le contrat doit suivre. Le contrat s’adapte à la franchise, et non l’inverse.
Sans chercher à rédiger un document révolutionnaire, l’avocat doit amener, dans sa mission de conseil, le franchiseur à savoir pourquoi chaque clause est nécessaire et légitime. Dans le prêt-à-porter, les candidats sont le plus souvent multi-franchisés ou pluri-franchisés, il est donc fréquent de ne pas imposer une clause de non-concurrence.
D’autre part, construire le contrat aide le franchiseur et ses associés à définir leur stratégie de développement, car ils n’ont pas toujours l’opportunité de se réunir et d’aligner leurs points de vue », précise Cécile Peskine.
Actualiser régulièrement son DIP, qui n’est pas remis au tout-venant
Il demeure toutefois impossible de prévoir ou d’envisager toutes les hypothèses dans un contrat de franchise.
« Le contrat de franchise, simple et concis – de 20 à 40 pages, sans les annexes -, ne doit pas se tendre un piège en accumulant les clauses léonines : le juge peut l’estimer déséquilibré, et cela donne une coloration de franchiseur tout puissant en cas de contentieux.
Par ailleurs, il est opportun d’actualiser son contrat, au moins chaque année : le droit et la jurisprudence évoluent, le concept aussi, et le monde également – Responsabilité Sociétale des Entreprises, réseaux sociaux…
Le DIP doit lui aussi être actualisé pour chaque candidat : un état du marché local adapté à la zone d’implantation choisie, la liste des entrées et sorties de franchisés doit être à jour, les investissements spécifiques à l’enseigne tout particulièrement en période d’inflation, les derniers comptes annuels, l’ajout de la refonte architecturale intérieure…
Ce document n’est pas remis au tout-venant, mais à un stade avancé du processus de sélection réciproque d’un candidat, car il demande du temps pour sa mise à jour », souligne Cécile Peskine.
La culture juridique française et latine ne pratique pas la « punition »
La relation de franchise ne peut être rompu pour des raisons mineures, si le franchisé respecte les obligations essentielles du contrat. Il convient donc de caractériser des manquements récurrents ou substantiels.
« Il s’agit d’un vrai sujet en droit français : la culture juridique française et latine ne pratique pas la « punition », soumise au pouvoir modérateur des juges qui peuvent l’écarter ou la réduire, et qui est donc appliquée avec parcimonie.
Mais avant la résiliation, le franchiseur dispose d’autres moyens pour agir et contrôler son franchisé : courrier électronique, notifications, médiation, procédure d’urgence de référé pour le rappel du respect d’un élément du concept ou le paiement des sommes dues…
Les témoignages restant insuffisants, il doit formaliser et garder des preuves, en conservant une trace de tous ses échanges de mails, de ses prises de notes, d’un stage en immersion, des attestations de déplacement pour visiter et valider les locaux.
Toutefois, le franchiseur pourra avoir plus d’impact sur son franchisé s’il adopte une approche consistant à récompenser ses performances. Et de préférence, financièrement, en intégrant des conditions de redevances dégressives dans le contrat en fonction de l’atteinte de critères choisis : avis client, taux de service ou d’engagement… c’est-à-dire des moyens mesurables et positifs d’inciter le franchisé et ses salariés à rechercher la performance », insiste Cécile Peskine.
Temps à mobiliser : 2 à 12 mois, en raison d’autres actions chronophages
Rédiger un contrat de franchise reste un métier de spécialiste, pour définir une stratégie, anticiper les contentieux, et tenir compte des pratiques de marché. D’autant plus que 95 % des conflits en franchise ont comme source la période précontractuelle.
« Beaucoup de dossiers nous sont envoyés par les avocats d’affaires habituels des franchiseurs, avec la confiance de leurs clients.
Nous cherchons à asseoir la relation entre franchiseur et franchisé sur des bases pérennes. Sans divulguer de secrets, nous pouvons nous appuyer sur la comparaison avec ce qui se fait dans d’autres réseaux de franchise.
Pour écrire un contrat, et selon le degré de maturité des réflexions, le temps à mobiliser varie entre 2 et 12 mois, car concomitamment, il faudra, pour le franchiseur, mener d’autres actions chronophages, comme rédiger le manuel opérationnel », conclut Cécile Peskine.
La protection de la marque : aussi essentielle que le DIP et le contrat de franchise… mais encore trop souvent négligée
Par ailleurs, tout franchiseur doit être propriétaire de sa marque, avant d’investir sur elle temps, énergie et finances, afin d’en disposer pleinement et pouvoir librement autoriser ses franchisés à l’exploiter, selon les conditions qui seront mises en place dans le réseau.
« La marque, catalyseur entre son enseigne et le client final à travers les signes de ralliement, permet au franchiseur d’affirmer l’identité de son réseau, de faire la différence sur les valeurs de sa franchise.
Le franchiseur doit la déposer correctement, par exemple dans les classes correspondant à son activité, de même que son logo, aujourd’hui appelé à changer régulièrement. Le signe choisi pour la marque doit être protégeable et distinctif, c’est-à-dire en mesure de distinguer les produits et services proposés par le réseau de ceux de ses concurrents.
Il faut également que ce signe soit libre, c’est-à-dire qu’il ne porte pas atteinte aux droits antérieurs de tiers, qu’il s’agisse de droits de marque, sur des dénominations sociales, de noms de domaine ou même éventuellement de comptes de réseau social.
Seul un spécialiste du droit des marque pourra réaliser efficacement ces recherches et déterminer à quel point les risques sont ou non importants.
Il existe en effet une différence de perception réelle entre celle du consommateur et la manière dont ceux qui doivent apprécier considèrent que le consommateur appréciera le risque de confusion entre les droits antérieurs et la marque envisagée.
Par exemple, le signe « excential » a été jugé similaire à « excelia » pour des produits vétérinaires, pour plusieurs raisons : imitation, longueurs voisines, six lettres dans le même ordre – quatre identiques constituant la même attaque -, trois syllabes », précise Vanessa Bouchara, avocate spécialiste en droit de la propriété intellectuelle (Cabinet Bouchara), et membre du collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise.
Identité visuelle du réseau : un précédent pourtant arrivé à une marque de luxe…
Pour protéger son réseau de franchise, il faut se faire céder les droits par ceux qui contribuent à l’identité visuelle du réseau : créatifs, graphistes, concepteurs d’applications ou de sites internet, concepteurs de logiciels dédiés, architectes…
« Dès qu’une personne morale ou physique participe à la création d’un actif de création, dit actif immatériel, il est recommandé d’obtenir une cession de ses droits. Le coût de telles démarches n’est pas négligeable mais est à corréler à la valeur que l’on veut donner à la marque et aux créations qui y sont associées – site Internet, application, concept de magasins, produit spécifique etc. -, afin de ne pas être empêché de les utiliser par la suite.
C’est par exemple arrivé à une marque de luxe, dont le graphiste avait cédé certains droits mais pas tous, la marque a alors été condamnée pour contrefaçon à payer un montant de 700 000 € et cela a généré de la mauvaise publicité.
De plus, toute création réalisée par des salariés ne revient pas à l’entreprise qui a commandé l’œuvre en l’absence de cession de droits. Seuls les droits de création d’un logiciel par un collaborateur reviennent automatiquement au chef d’entreprise. Deux lignes sur une facture ne valent pas cession, comme dans le cas d’un concept architectural : un contrat est nécessaire.
Les risques de conflits sont devenus plus nombreux, car les particuliers et les entreprises sont de mieux en mieux informées sur le sujet. », relève Vanessa Bouchara.
Pour que vos franchisés n’abîment pas la marque
Ne pas ou mal déposer sa marque constitue une grave erreur, pouvant affecter ses franchisés.
« Les franchisés sont en effet exposés à un même niveau de risque : si le franchiseur commet un acte de contrefaçon ou une atteinte aux droits, les mesures peuvent se reporter sur eux, comme la cessation d’exploitation immédiate pour un concept architectural ou d’impératives modifications d’éléments fondamentaux à exécuter sur le champ. Les franchisés peuvent aussi tenter d’annuler le contrat du fait d’une marque non existante ou mal déposée, puisqu’elle demeure l’un des principaux piliers du contrat de franchise.
La conséquence d’une marque mal protégée ou mal déposée, par exemple dans un contexte familial ou de couple, ne s’arrête pas à l’interdiction d’exploitation : cela peut également engendrer le paiement de dommages et intérêts.
D’autre part, pour que ses franchisés « n’abîment pas » sa marque, le franchiseur doit définir une charte des bonnes pratiques, pour tout ce qui est géré par la tête de réseau ou par les franchisés, la communication notamment, avec les réseaux sociaux et les fiches Google Business. Il est important de ne pas aller trop loin dans le contrôle, de conserver un certain équilibre avec ses franchisés.
Enfin, les influenceurs peuvent impacter un réseau positivement ou négativement : ils représentent un vecteur d’attrait exceptionnel… avec des dérives possibles, à canaliser à travers un contrat, en leur définissant la manière de mettre en valeur la marque. Exemple : ne pas l’utiliser de manière générique, avec d’autre marque », argumente Vanessa Bouchara.
Protection de la marque : savoir agir vite !
Au fil du temps, le franchiseur doit préserver la valorisation de sa marque, à travers des opérations de surveillance.
« Plus on agit tôt, plus la procédure est simple et peu coûteuse, puisque l’on intervient en amont dans le process de développement de son concurrent.
Plus on arrive tard, plus on se retrouve dans situation où le concurrent possède plus de moyens financiers, et a déjà exploité la marque « copiée » », conclut Vanessa Bouchara.
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