Quelle enseigne de restauration n’a jamais rêvé de développer un réseau de franchises sur le marché des États-Unis ? Un rêve en théorie réalisable, mais très difficile à atteindre en raison de contraintes juridiques, financières mais aussi culturelles tenaces.
Thierry Rousset, consultant spécialiste du secteur de la restauration fait le point pour L’Express Franchise et dresse un constat sans appel.
Chaînes de restauration : un marché américain très concurrentiel et cloisonné
« Aucune enseigne de restauration étrangère n’a à ma connaissance jamais réussi à s’implanter aux États-Unis en démarrant directement avec un modèle franchisé » indique-t-il de prime abord, tout en nuançant son propos : « cela ne veut pas dire que c’est impossible, mais cela en dit long sur la complexité de ce marché comptant environ 4 000 acteurs tous secteurs confondus ».
Car contrairement aux idées reçues, les États-Unis ne forment pas un tout homogène mais bien 51 marchés aux réglementations variées, chaque État disposant de ses propres règles, notamment en matière de franchise. New York et Los Angeles, villes rêvées par bon nombre d’entrepreneurs ne sont pas forcément les meilleures localisations pour se lancer.
Il est ainsi possible de bâtir une marque de 2 000 points de vente, fast-food ou non, tout en restant cantonné à un seul État comme le Texas ou la Floride. Le document d’information précontractuel que les Américains appellent Disclosure Document représente déjà un obstacle de taille : les candidats à la franchise attendent de ce fichier des données solides et chiffrées sur les performances du concept, ce qu’une nouvelle enseigne étrangère ne peut généralement pas fournir.
Le coût du lancement d’une chaîne de restaurants aux USA
Le coût des démarches administratives et juridiques représente un autre frein. Rédiger un contrat de franchise et un Disclosure Document aux États-Unis nécessite l’accompagnement d’un avocat spécialisé « pouvant coûter entre 50 000 et 80 000 dollars » indique-t-il. Un investissement considérable pouvant décourager des franchiseurs.
Par ailleurs, les enseignes doivent la plupart du temps faire appel à des consultants locaux spécialisés pour adapter leur concept au marché américain et activer leur réseau de contacts. « Ces prestations peuvent coûter jusqu’à 12 000 dollars par mois avec un engagement minimum d’un an, sans garantie de succès » ajoute Thierry Rousset. Une commission liée aux performances pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers de dollars peut aussi être exigée, ajoutant de l’incertitude à l’investissement.
Deux stratégies d’implantation de restaurants qui fonctionnent
Face à ces obstacles, deux stratégies ont prouvé leur efficacité pour les enseignes étrangères souhaitant conquérir le marché américain : l’implantation en propre et le développement via le Travel Retail. Accessoirement, le modèle de la joint-venture permet aussi d’entrer sur le marché, à condition de trouver un partenaire local robuste et profondément implanté.
L’exemple le plus emblématique est celui de Paris Baguette, une enseigne coréenne qui, malgré son nom évocateur, n’a rien de français. Elle a réussi à développer son réseau de franchises après avoir ouvert dans un premier temps plusieurs dizaines de points de vente en propre aux États-Unis. Une montée en puissance progressive qui témoigne de la difficulté à s’implanter outre-Atlantique, malgré un concept apprécié des clients américains, la boulangerie-pâtisserie française jouissant d’un véritable prestige chez ces consommateurs.
Le Travel Retail, pour sa part, permet de contourner les difficultés liées à la réglementation locale en s’implantant dans les aéroports et les gares. Des enseignes françaises comme Brioche Dorée et Paul ont ainsi réussi à s’installer sur le territoire américain sans passer par la franchise traditionnelle.
Du fast food USA au fast good, Eat Salad mûrit sa réflexion
Antoine Barat, cofondateur d’Eat Salad, une enseigne de restauration healthy déployée en France avec une centaine de restaurants, prévoit d’en ouvrir 47 supplémentaires en 2025, dont un à Barcelone, qui servira de pilote pour le déploiement de la marque en Espagne et à l’international. « On a un plan stratégique de développement qui est axé uniquement sur des territoires au potentiel similaire. Parce qu’effectivement, si on vend le concept à un franchisé, on veut qu’il puisse reproduire de manière la plus homogène et la plus fidèle les meilleures pratiques qui marchent en fonction de sa zone d’implantation » confie-t-il à L’Express Franchise.
L’objectif d’Antoine Barat est d’ouvrir 10 000 points de vente dans le monde, dont 80 % aux États-Unis et 2 000 en Europe, avec l’ambition de devenir leader mondial de la nourriture healthy. Pour lui, le marché américain est incontournable, mais il est conscient des difficultés d’implantation. « On ne veut pas construire de boutiques physiques en partant de rien et prendre le risque d’être une chaîne inconnue aux États-Unis, mais plutôt de nous intégrer à des complexes qui ont une carence en restauration. »
Parmi les stratégies envisagées pour entrer sur le marché américain, Eat Salad mise sur le Travel Retail, en s’implantant dans les aéroports et autres infrastructures de transport. « Que vous soyez dans l’aéroport d’une grande capitale ou d’un autre pays, finalement les gens consomment un peu de la même manière, c’est assez universel » constate-t-il. « On croit beaucoup à ce concept, à ce déploiement au travers de Retailers et on a déployé une offre café, une offre petit déjeuner, une offre goûter adaptées, chose que nous n’avons pas tant développé dans d’autres restaurants » explique-t-il.
Un autre point d’entrée concerne les lieux de loisir (entertainment), notamment les salles de sport et les complexes de soccer five, où l’offre de restauration est limitée pour les clients. Pour ce dernier élément, la joint-venture est à l’étude. Cette approche consiste à créer une entreprise avec un co-actionnaire local, chacun apportant un investissement et partageant les risques et les profits. « C’est une cohabitation assez particulière mais qui est très porteuse car il y a des acteurs qui connaissent bien le marché et qui ont un réseau d’experts. » Sur le long terme, Eat Salad souhaite évoluer vers un modèle de master franchise avec un acteur américain d’envergure. « Quoiqu’il arrive, à terme, on veut trouver des masters, et autofinancer le développement par ces masters. On envisage la joint-venture uniquement pour le magasin pilote, pour tester ce nouveau marché, c’est plutôt symbolique. »
Cependant, Antoine Barat est pleinement conscient des défis que représente une implantation aux États-Unis et rejoint Thierry Rousset dans son analyse. « C’est vrai qu’il y a beaucoup plus d’échecs que de réussites sur le marché américain ». « Réussir à être leader déjà dans son propre marché, en connaissant la langue et les usages, c’est déjà très dur. Alors, le faire chez le voisin avec une politique protectionniste, c’est ardu. Mais le gain est à la hauteur de l’effort et de l’adversité. »
Privilégier les marchés riverains avant de se lancer aux USA
Le développement international en franchise « ne doit pas être une histoire d’ego » prévient Thierry Rousset, qui conseille aux enseignes de ne pas se laisser absorber par le rêve américain ou celui de Dubaï. « Quand on est un franchiseur raisonnable et que l’on commence à réfléchir au développement international, on doit s’intéresser dans un premier temps aux pays proches » indique-t-il, citant l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne ou encore la Pologne, voire même l’Afrique du Nord.
Eat Salad suit cette approche avec l’ouverture du restaurant pilote à Barcelone en mai, sous le modèle de la franchise. Le marché espagnol a « un potentiel d’ouverture de 60 restaurants » indique le cofondateur de la marque healthy. L’arrivée sur le marché américain doit donc se faire dans un second temps, et dans des États tels que la Floride ou la Géorgie, où les contraintes administratives sont moindres. Pour les enseignes françaises, une approche méthodique et progressive reste la clé d’un développement international réussi.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Ouvrir une franchise de restauration aux États-Unis ?
Un marché complexe et concurrentiel : Les États-Unis, avec plus de 4 000 acteurs dans le secteur de la restauration, représentent un marché cloisonné où aucune enseigne étrangère n’a réussi à s’implanter en franchise de manière directe. Chaque État a ses propres réglementations, rendant l’accès difficile.
Coûts élevés et besoins d’accompagnement : Le lancement d’une franchise impose des frais juridiques significatifs (entre 50 000 et 80 000 dollars) et la nécessité de faire appel à des consultants locaux. Ces coûts peuvent dissuader les nouveaux entrants malgré le potentiel du marché.
Stratégies d’implantation efficaces : Pour réussir, les enseignes étrangères peuvent opter pour l’implantation en propre ou le développement via le Travel Retail, comme l’illustrent des exemples tels que Paris Baguette. Ces approches contourneraient certaines des difficultés d’enregistrement.
Projets de développement innovants : Eat Salad, une enseigne de restauration healthy, planifie une expansion avec un fort accent sur le Travel Retail, ciblant aéroports et lieux de divertissement pour une entrée évitant les obstacles réglementaires.
Privilégier les marchés proches : Les experts conseillent aux franchises de se concentrer d’abord sur des marchés géographiquement proches avant de viser les États-Unis, comme l’Espagne ou l’Italie, afin de minimiser les risques d’échec associés à l’American Dream.