Le savoir-faire d’une enseigne doit constamment se bonifier pour maintenir ou accroître son avantage concurrentiel, à travers les initiatives de franchisés en phase avec le positionnement de la marque ou la recherche permanente au sein des points de vente pilotes.
Ce qui nécessite, entre autres, d’anticiper les résistances au changement de certains franchisés, et d’industrialiser le process en interne pour passer du tacite à l’explicite.
Le franchiseur doit veiller à obtenir le consentement du franchisé en cas de bouleversement de l’économie du contrat de franchise.
Évolution permanente : l’ADN de la franchise
Environnement réglementaire évolutif, nouvelles conditions de marché (Drive, applications, digitalisation…), innovations de la concurrence, événements majeurs (Covid, guerre en Ukraine, réchauffement climatique)… Le commerce a désormais constamment besoin de se réinventer, sur des délais de plus en plus courts, face à un consommateur qui change ses comportements.
« Pour permettre au franchisé de réitérer la réussite de son concept, et de maintenir, voire accroître son avantage concurrentiel, le franchiseur doit aujourd’hui faire évoluer son savoir-faire aussi bien métier, qu’au niveau numérique ou environnemental, à travers notamment la mise en place d’une politique RSE, pour s’adapter aux nouvelles conditions du marché, sous réserve de ne pas bouleverser l’économie du contrat de franchise. Notons que cette obligation d’évolution du savoir-faire du franchiseur est une obligation de moyens et non de résultat.
C’est d’ailleurs ce qu’indique le Code de déontologie européen de la franchise qui prévoit que, pour assurer le développement et la pérennité de son concept, le franchiseur y consacre les moyens notamment en termes de recherches et d’innovation. Le contrat de franchise doit, quant à lui, prévoir que ces évolutions du savoir-faire soient appliquées par les franchisés, à condition notamment que le franchiseur les ait préalablement testées », explique Christophe Grison, avocat au cabinet Fidal, membre du Collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise.
Des typologies de franchisés plutôt réfractaires au changement
Si le franchiseur se doit de rester toujours en éveil pour redonner un temps d’avance à ses franchisés, des résistances à ces changements sont rencontrées au sein des réseaux.
« En premier lieu, les franchisés en fin de carrière ou de cycle. Ils n’ont plus intérêt à réinvestir et sont entrés dans une certaine zone de confort. Ils peuvent par exemple penser que la transformation écologique appartient à une autre génération de chefs d’entreprise.
Ensuite, les franchisés déshabitués au changement, qui n’ont pas vécu les grands moments de transition d’un concept, ou encore les chefs d’entreprise décorrélés de l’idée de changement.
Enfin, ceux qui ne sont plus en confiance avec le franchiseur, parfois parce que ce dernier n’est plus crédible. Exemple : une enseigne qui a cédé tous ses magasins-pilotes, pour des raisons financières, a ainsi perdu toute légitimité à insuffler de l’innovation », remarque Sylvain Bartolomeu, dirigeant associé de Franchise Management, membre du Collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise.
Profils multi-sites ou pluri-enseignes : plus compliqués à gérer, mais précieux dans une franchise
En revanche, nombre de franchisés restent une source sûre pour bonifier le savoir-faire d’une enseigne, et continuer d’aider le réseau à trouver sa singularité.
« La valeur ajoutée d’un réseau, c’est l’intelligence collective. Le franchiseur possède le privilège et l’opportunité de multiplier les points de contacts avec le client final, à travers des franchisés impliqués dans leur boutique.
Dans le cadre de sa Recherche & Développement, il bénéficie des datas, très à la mode pour anticiper les tendances de consommation, tout comme d’une forme d’imprévisibilité des franchisés, dont la capacité et le talent peuvent lui permettre de découvrir, voire mettre en place si elles sont bonnes, des idées en phase avec le positionnement de la marque.
Dans l’art de pratiquer le métier du concept, le franchisé dépasse normalement le franchiseur. Il faut repérer les plus disruptifs et agiles. Les profils développés en multi-sites, voire pluri-enseignes, sont souvent imaginatifs dans la remise en cause du concept, plus créatifs que la moyenne, notamment par rapports aux profils commerçants, voire gestionnaires. Ils sont certes plus compliqués à gérer que des franchisés normatifs, qui ont besoin d’un cadre clair, mais demeurent précieux dans un réseau. La dimension humaine apporte toute sa richesse et sa complexité au système de franchise », souligne Franck Berthouloux, directeur TGS France Consultants et membre du Collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise.
Animation individuelle et séminaire : 2 sources d’idées venant des franchisés
Il existe plusieurs moyens de recueillir les bonnes idées des franchisés, un chemin finalement inverse par rapport au moment de la création de leur point de vente, où le savoir était descendant du franchiseur vers le franchisé.
« Les bonnes idées d’amélioration du savoir-faire viennent déjà par l’animation individuelle, en repérant une pratique ou des produits hors approvisionnement de l’enseigne, dont l’efficacité est démontrée en point de vente. L’enseigne, via son animateur, doit posséder une ouverture d’esprit aux façons de faire différemment du concept, avec une meilleure productivité. Voire créer les conditions d’un échange sur l’idée, en l’incitant à raconter sa pratique.
Ou encore, à travers des séminaires réguliers, durant lesquels les franchisés viennent partager leur expérience sur une thématique définie au préalable – exemple : le recrutement et la fidélisation de collaborateurs -. Les plus expérimentés jouent alors le rôle de mentor et chacun peut se sentir valorisé à l’intérieur du groupe.
Attention : certaines prises d’initiatives s’avèrent périlleuses ou inconvenantes, ou tout simplement abîment l’image de la marque, même si le franchisé a le sentiment qu’elles marchent auprès de la clientèle.
A contrario, si le franchiseur n’adopte pas une posture d’écoute, il peut passer pour un empêcheur de tourner en rond si le franchisé a bonifié le savoir-faire et il risque alors de s’enliser dans des échanges stériles. On touche ici à la corde sensible de la confiance », insiste Franck Berthouloux.
Allouer des ressources à la Recherche & Développement, et mettre en place un management du savoir-faire
Les bonnes idées d’amélioration du concept doivent naturellement d’abord naître dans les magasins-pilotes du réseau.
« Elles sont notamment générées par une veille concurrentielle, une étude de consommateurs de l’enseigne et de NON-consommateurs, un comité de franchisés dédiés à l’innovation. Dans son modèle d’organisation, et même sa culture d’entreprise, le franchiseur doit allouer des ressources à la Recherche & Développement, et mettre en place un management du savoir-faire. Ceci afin de centraliser les idées, les éprouver – au besoin, avec des franchisés volontaires, bêta-testeurs -, analyser leurs impacts et, si elles ne sont pas abandonnées, les modéliser avec des indicateurs de contrôle, puis monter des formations et les diffuser au réseau.
En passant du tacite à l’explicite, ces différentes étapes amènent naturellement à codifier ce nouveau savoir-faire dans le manuel opérationnel de l’enseigne, selon un système proche d’une procédure ISO. Industrialiser ce processus d’incubation offre au réseau de devenir hyper agile », indique Sylvain Bartolomeu.
Clauses spécifiques dans le contrat
Les évolutions du savoir-faire interviennent sur divers éléments du concept : gamme de produits et services, modes de commercialisation, aménagement du point de vente/concept architectural, changement d’activité (de vêtements Hommes à vêtements Femmes)… Tous les secteurs d’activité sont concernés.
« Il faut distinguer les évolutions des vraies innovations, qui apportent des changements structurants, qui sont de deux ordres.
D’une part, les innovations technologiques, par exemple des outils pour digitaliser un métier et simplifier le quotidien, comme un logiciel de caisse, une solution de gestion de Ressources Humaines ou encore un CRM pour la relation commerciale.
D’autre part, une refonte des produits pour les adapter aux attentes des consommateurs, en termes de recettes ou encore de relocalisation des matières utilisées, et plus généralement de Responsabilité Sociétale des Entreprises », précise Sylvain Bartolomeu.
« Dans un contrat de franchise, il est possible de prévoir que toute évolution initiée par un franchisé et qui serait agréée par le franchiseur, pour intégrer son savoir-faire, appartienne à l’enseigne. Il s’agit d’un point primordial à traiter, car il en va de l’homogénéité du réseau dont le franchiseur est le garant », précise Christophe Grison.
Consentement du franchisé à obtenir en cas d’investissement financier important
Les nouveautés apportées à un concept doivent entrer dans un cadre juridique.
« Certaines innovations peuvent entrainer un bouleversement de l’économie du contrat pour le franchisé : de nouveaux investissements à engager pour les mettre en place, des modifications des conditions financières telles que les redevances, un virage opérationnel tel qu’un changement d’enseigne pouvant entraîner le délaissement de l’enseigne initiale.
Dans de telles hypothèses, le consentement du franchisé devra être sollicité. Il en ira ainsi lorsque l’activité, liée au concept, est modifiée – par exemple, réorientation d’un concept de vêtements pour hommes vers des vêtements pour femmes – ou bien encore en cas d’investissements dans de nouveaux mobiliers liés à l’évolution de la gamme de produits de l’enseigne.
Il est recommandé au franchiseur de laisser un délai pour la mise en œuvre de ses évolutions. Voire de disposer d’une enveloppe financière pour aider les nouveaux entrants à adopter de tels changements. Cette forme de solidarité permet d’accélérer la mise en œuvre des évolutions du concept.
En outre, il peut être pertinent de prévoir contractuellement l’obligation pour le franchisé de conserver chaque année quelques milliers d’euros pour mettre en place certaines évolutions du concept nécessitant un investissement de sa part.
Quant aux nouveaux outils, comme les applications mobiles, les Dark Kitchen, les boutiques éphémères ou le réseau virtuel Métaverse, certaines clauses du contrat de franchise doivent être adaptées afin, d’une part, de permettre au franchiseur de mettre en œuvre ces innovations ou business model lorsque cela deviendra nécessaire ou opportun et d’autre part, d’éviter d’éventuelles tensions avec les franchisés au regard de certaines clauses contractuelles, notamment concernant le financement de telles innovations. », soulève Christophe Grison.
Seule l’absence de mouvement met en risque une enseigne
Toute nouveauté n’est cependant pas une garantie d’amélioration de la rentabilité du concept pour le franchisé.
« Dans le management, on ne reproche pas au leader d’avoir échoué, mais de n’avoir pas essayé ! De plus, en franchise, la défiance ne naît pas d’erreurs de jugement, mais si le franchiseur ne travaille pas dans l’intérêt supérieur du réseau. Celui-ci doit savoir faire amende honorable quand il s’est trompé, car la sincérité engendre la confiance. Il peut même supporter financièrement une partie de l’échec, un acte de management qui, à partir d’une erreur, générera de la confiance.
Dans un réseau, toute victoire est collective, toute défaite est collective. L’écoute active des clients pour tenter des innovations ne doit pas être qu’à la charge du franchiseur, mais de l’ensemble du réseau. L’évolution permanente reste la marque de fabrique des grandes entreprises. Cela devrait inspirer tout réseau de franchise à favoriser la proposition d’idées et le droit à l’erreur.
Seule l’absence de mouvement met en risque une enseigne. Toutefois, les franchisés ne peuvent se retourner contre le franchiseur, en cas d’échec d’une nouveauté, que si le concept a changé drastiquement de A à Z, est nouveau ou s’il ne permet plus au franchisé de gagner sa vie », explique Sylvain Bartolomeu.
Apporter une réponse concrète à ses franchise, en cas de difficultés financières générées par une innovation
Les potentielles difficultés générées par une innovation sont à anticiper par le franchiseur.
« Au début de la relation de franchise, il est recommandé au franchiseur de ne pas imposer un nouvel investissement à son franchisé qui vient tout juste de contracter un prêt. Il en va de même, lorsqu’à la fin de la relation de franchise, le franchiseur sait qu’il ne renouvellera pas le contrat de franchise.
Afin de convaincre et d’obtenir l’adhésion des franchisés, le franchiseur devra tester les évolutions du concept, communiquer en amont sur celles-ci en attestant de la rentabilité des nouveaux investissements qui seraient consentis par les franchisés, mettre en place un process et un délai pour adopter ces évolutions, et mettre en œuvre de bonnes pratiques à l’égard des franchisés qui ne souhaiteraient ou ne pourraient pas consentir à de tels investissements.
À l’égard de ces franchisés, le franchiseur devra veiller à ne pas commettre de faute et à respecter ses engagements contractuels, et devra également éviter de leur créer un préjudice, par exemple en ne communiquant plus sur l’enseigne qu’ils utilisent. Tout ceci devant s’inscrire dans une approche globale tenant compte de la jurisprudence rendue en la matière, afin de limiter les risques juridiques pour le franchiseur.
En tout état de cause, la tête de réseau devra gérer l’ensemble de ces problématiques liées aux évolutions de son concept en apportant aux membres de son réseau des réponses concrètes et ce, afin de sécuriser le développement de son enseigne », suggère Christophe Grison.
Un process à bien assimiler
Enfin n’oublions pas que l’innovation reste le moteur du système de franchise.
« La nouveauté peut être soumise aussi au vote des franchisés, ce qui permet aussi de proposer des variantes sur l’idée originale. Ou dupliquée dans un premier temps sur 5 points de vente pour vérifier qu’elle fonctionne sur différents territoires.
Quand la nouveauté ne fonctionne pas, les franchisés constatent que l’idée va à l’encontre de la dynamique commune. Le franchiseur ne doit jamais se transformer en simple fournisseur de produits, ni n’occulter la phase de tests. Parfois, ce peut être aussi un manquement dans l’appropriation du nouveau savoir-faire pour garantir une expérience Client de qualité.
Il faut savoir observer le geste durant les phases de test, pour le décortiquer et l’expliquer aux autres franchisés du réseau, en le déclinant en comportements dans le point de vente et sur le plan managérial à l’équipe du franchiseur. Il est aussi nécessaire d’adopter le merchandising et le marketing adéquat, et d’intégrer l’innovation dans le système d’information, en particulier le manuel opérationnel, pour enrichir son capital immatériel.
Quand ce process est bien assimilé, l’innovation, comme une simple formation supplémentaire, peut générer une hausse significative du chiffre d’affaires », conclut Franck Berthouloux.