La restauration n’attire plus les candidats et fragilise les professionnels du secteur. La solution pourrait passer par le recrutement de profils atypiques, une meilleure flexibilité des horaires et de nouvelles formes de rémunération.
Aux grands maux, les grands remèdes ! L’été dernier, faute de serveurs pour son établissement normand, un restaurateur a été obligé de recruter des retraités. Un autre, dans le Gard, a dû, de son côté, faire appel à sa grand-mère de 90 ans pour travailler en cuisine.
Anecdotique, voire incongru ? Pas pour Bernard Boutboul, président du cabinet Gira, qui voit dans ces nouveaux profils un début de réponse aux difficultés de recrutement dans le secteur de la restauration qui, d’après l’Umih, concerne 200 000 postes. « Cela fait plus de dix ans que l’on parle de pénurie de main d’œuvre sur ce marché. Il faut arrêter de se plaindre, la profession doit accepter de se réinventer avec de nouvelles pratiques » exhorte l’expert.
Embaucher des profils atypiques
Le recrutement de seniors, de retraités, de mères aux foyers ou d’étudiants lui apparaît comme une solution réaliste. « Ces profils peuvent travailler en horaires aménagés, sur du temps choisi, le midi ou le soir , par exemple. Mc Do fait cela depuis quinze ans avec les étudiants. Il n’y a rien d’aberrant à élargir ce modèle » analyse Bernard Boutboul.
Selon une étude de KPMG, Gira et L’Addition publiée début 2023, 31% des restaurateurs se sont ainsi orientés vers le recrutement de profils sortant du lot. « Ce n’est pas courant mais certains franchisés m’ont indiqué avoir embauché des mères célibataires sur des postes d’équipiers polyvalents : elles ne travaillent pas après 17 heures, ni le week-end. Cette flexibilité horaire est demandée par les candidats actuels et permet de pallier le manque de bras » explique Julien Perret, franchiseur de BChef (63 restaurants) qui reconnaît rencontrer des difficultés ponctuelles dans quelques régions et en haute saison.
Norman Kolton, franchiseur du réseau Street Bangkok (huit restaurants en propre, cinq à venir en franchise) a lui aussi changé son fusil d’épaule concernant la sélection des candidats. « Avant, nous recrutions sur des compétences, aujourd’hui nous embauchons n’importe quels profils pourvu qu’ils aient la bonne attitude et le bon savoir-être. Nous les attirons avec des perspectives d’évolution rapides et des formations planifiées tous les six mois ».
Des horaires flexibles pour davantage de bien-être
D’après l’étude de KPMG, 54% des restaurateurs déclarent également avoir adapté les horaires afin de rendre la profession plus attrayante. Jour de repos supplémentaire, semaine de quatre jours en continue et horaires fixes deviennent fréquents dans le secteur. « Grâce à notre cuisine centrale basée à Ivry qui livre les restaurants, nous avons réussi à mettre en place des horaires fixes, de 9h à 17h pour les métiers de production. C’est un plus, cela permet de stabiliser les effectifs, de réduire le turnover et d’offrir au personnel une meilleure conciliation vie pro/vie personnelle » indique Norman Kolton de Street Bangkok.
Cette nouvelle prise en considération du bien-être des salariés est relativement récente dans le secteur, plutôt habitué au management à la « papa ». Les professionnels, et notamment la nouvelle génération, sont désormais conscients que de meilleures conditions de travail pour leurs équipes sont essentielles au bon fonctionnement de leur établissement. « Ils ont un rôle à jouer : en reconnaissant le travail des salariés, en les impliquant, en les valorisant, ils parviendront à les fidéliser et in fine, à proposer une meilleure qualité de services aux clients » recommande Bernard Boutboul.
Rémunérer à la performance
Flexibilité, reconnaissance, perspectives d’évolution…les efforts sont visibles de part et d’autres mais ils ne suffisent pas. La question de la rémunération reste toujours le point d’achoppement dans le métier. Même si 48% des restaurateurs déclarent avoir augmenté les salariés, la différence se joue ailleurs. « Nos grilles de salaires sont au -dessus du smic mais nous proposons en plus des avantages salariaux comme le remboursement à 80% du pass navigo, l’adhésion à une mutuelle et bientôt des chèques vacances » explique Edouard Defert, fondateur des bars/restaurants à jeux Loufoque qui prévoit l’ouverture de deux à trois points de vente en franchise courant 2024.
Chez Street Bangkok, la politique salariale va un cran au-dessus. « Nous sommes 15 à 20% au-dessus du smic et avons mis en place, il y a un an, un système d’intéressement aux résultats pour tous les salariés » mentionne Norman Kolton. Une façon d’impliquer et de motiver le personnel à la qualité de service qui rejoint une autre piste développée par Bernard Boutboul. « Il faut arrêter de rémunérer au fixe les personnes en salle mais plutôt donner la main aux consommateurs pour qu’ils versent un pourboire de 10, 15 ou 20% en fonction de la qualité du service.
Cette réintégration du « service non compris », usuelle aux Etats-Unis ou au Portugal, permettrait de compléter des salaires pas toujours très élevés et de motiver le personnel à bien faire ». Un « tips » à méditer car en France, la tradition du pourboire s’est perdue au fil des décennies et l’inflation actuelle est loin de jouer dans sa ré-introduction.