Les réponses de Stéphane Roder, auteur du “Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise” (éd. Eyrolles).
Stéphane Roder dirige depuis 2018 le cabinet de conseil AI Builders. Il décrit ici les effets de cette nouvelle technologie pour le monde de la franchise
Le monde de la franchise doit-il aussi s’intéresser à l’intelligence artificielle ?
L’univers de la franchise a deux caractéristiques. La première oblige le franchiseur à faire le marketing de la marque, et donc à optimiser ses coûts. La seconde l’amène à être le fournisseur du produit à ses franchisés. Il va avoir alors une problématique de flux, à maximiser, qu’il s’agisse des achats ou des stocks.
En matière de marketing, les outils basés sur l’intelligence artificielle peuvent tout d’abord améliorer de 20 % le rendement de chaque euro investi. Ensuite, en ce qui concerne les achats et la chaîne d’approvisionnement, ces outils permettent de faire gagner du temps et d’aller à l’essentiel.
Pourquoi parle-t-on autant d’intelligence artificielle aujourd’hui ?
Parce que nous avons la chance d’avoir un éditeur, Microsoft, qui a remarquablement “marketé” la sortie d’un de ses actifs technologiques, OpenAI ! De nombreuses personnes l’ont utilisé, et cela a beaucoup plu. L’outil a impressionné. Parce que ChatGPT a un comportement presque humain, proche du test de Turing, c’est-à-dire que la machine a la faculté d’imiter la conversation humaine. Mais cette évolution n’est pas une révolution : en fait, nous avons maintenant des architectures plus performantes qui permettent l’émergence de ces IA génératives.
Pourquoi un professionnel de la franchise doit-il définir une stratégie sur l’IA ?
Ceux qui gèrent une affaire le savent : la marge compte. Il faut donc chercher à améliorer ses coûts. De cette façon, une société est pérenne et peut se développer. Il y a donc un vrai défi pour le franchiseur : il doit avoir une optimisation parfaite de ses investissements et de ses revenus. Pour les franchisés, cela dépendra de leur métier, certains pourront profiter de l’IA, d’autres non. Mais il faudra que le premier fournisse aux seconds les outils pour optimiser leur travail. Sinon, le principal risque est d’avoir un réseau hétérogène qui ne fonctionne pas bien. Le franchiseur a donc intérêt à fournir les bons cas d’usage sur étagère ou intégrés au poste de travail. A lui de s’interroger sur les solutions qu’il peut apporter et de cibler les points où l’IA aura un impact positif.
Les outils basés sur cette technologie sont-ils suffisamment matures pour être pris en compte dans une stratégie ?
On voit, par exemple, que certains, basés sur l’IA générative, rencontrent des problèmes d’hallucination.
N’oublions pas que ChatGPT et l’IA générative ne représentent qu’une toute petite partie de l’IA. Les entreprises utilisent l’apprentissage automatique depuis 2012 dans de nombreux domaines, notamment pour réaliser des prédictions qualitatives et quantitatives, dont ils se servent dans la gestion des stocks. Mais vous avez raison sur la réalité de ces problèmes d’hallucination au niveau des IA génératives, que nous commençons à comprendre et à contourner. Reste que ces dernières n’ont pas toutes vocation à être intégrées dans les plans des entreprises. Il s’agit surtout d’une mode, et le grand public doit toujours avoir à l’esprit que l’IA correspond avant tout à des mathématiques appliquées, quels que soient la prédiction ou l’outil.
Un dirigeant de franchise doit-il faire évoluer son organisation pour mieux se saisir de l’IA ?
A partir du moment où un franchiseur propose cette technologie, sa réponse doit être industrielle, ce qui passe par la mise en place d’une organisation ad hoc permettant de définir les cas d’usage, notamment en faisant appel à des consultants ou aux compétences internes. Ensuite, il faut faire du développement et créer un data office. A ce stade, ce n’est pas la taille de la franchise qui compte, mais le nombre de cas d’usage.
Quels sont les écueils à éviter ?
Il ne faut pas mettre en place une IA qui ne serve pas les objectifs de l’entreprise. En d’autres termes, ne pas se lancer dans ce domaine pour dire que son entreprise est à la pointe, ni vouloir absolument en mettre partout. Aujourd’hui, tout le monde veut de l’IA générative. Mais il ne faut l’utiliser qu’à condition qu’elle contribue au développement de sa société et ne soit pas un investissement inutile.
Vous dites qu’il faut démythifier l’IA, pourquoi ?
L’IA peut se révéler très utile. C’est un outil puissant, qui apporte beaucoup de valeur, mais il ne peut pas tout faire, et possède ses propres limites. Malgré la force marketing extraordinaire des Gafam, il ne faut donc pas se laisser entraîner par la déferlante autour des IA génératives. Par exemple, nous disons à nos clients : “Dans votre entreprise, ne mettez pas Copilot à disposition de tout le monde, regardez d’abord à qui cela va vraiment servir.”
Après les grands modèles de langage, à quoi faut-il s’attendre ? Quelles sont les tendances que vous anticipez ?
Nous avons une chance extraordinaire. ChatGPT a permis un énorme boom dans le secteur, avec de l’argent investi dans des entreprises et des centres de recherche. Il y a un vrai cycle innovation-industrialisation-généralisation qui démarre sous nos yeux.
Au-delà de ce premier constat, nous observons un passage des grands modèles de langage (LLM) à de plus petits. Utiliser 175 milliards de paramètres comme GPT-3 à chaque requête, cela coûte trop cher. D’où l’arrivée de nouveaux logiciels plus modestes à 2 milliards de paramètres, très spécialisés et verticaux. Ces petits modèles spécifiques vont pouvoir équiper des postes de travail. Si des franchiseurs veulent investir dans l’IA, ils n’auront pas le choix. Ils devront le faire de manière industrielle et bien conçue. A l’inverse, ne pas s’y intéresser, c’est prendre le risque de ne plus être compétitif et de sortir du marché. Et attention ! ces changements radicaux peuvent être violents.
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur la franchise à l’ère de l’intelligence artificielle.
Importance de l’IA pour les franchises : Selon Stéphane Roder, les franchises doivent adopter l’IA pour optimiser le marketing, les flux d’achat et de stocks. L’IA peut améliorer de 20 % le rendement des investissements marketing et simplifier les processus opérationnels, offrant un avantage concurrentiel crucial.
Stratégie et intégration : Les franchiseurs doivent définir une stratégie IA pour garantir une optimisation des investissements et des revenus. Fournir des outils IA aux franchisés est essentiel pour assurer une homogénéité du réseau et éviter des disparités de performance entre les différents points de vente.
Maturité des outils d’IA : Bien que certaines IA génératives comme ChatGPT puissent rencontrer des problèmes d’hallucination, les technologies d’IA sont largement utilisées depuis 2012 pour des prédictions qualitatives et quantitatives. Il est essentiel de comprendre et contourner les limitations actuelles pour une utilisation efficace.
Évitement des écueils : Il est crucial de n’adopter l’IA que si elle sert les objectifs de l’entreprise, plutôt que de suivre une mode. Investir dans l’IA sans une utilité claire pour l’entreprise peut mener à des investissements inutiles.
Tendances futures de l’IA : L’avenir de l’IA passe par des modèles plus petits et spécialisés, économiquement viables et intégrables aux postes de travail. Les franchiseurs doivent investir de manière structurée et industrielle pour rester compétitifs, sous peine de perdre leur position sur le marché.