Jeune pousse, pépinière d’entreprise, incubateur…le monde de l’entreprise emploie fréquemment, et de plus en plus, le champ lexical de la nature pour se définir. Existe-t-il donc un lien entre nos organisations et la nature ? L’entreprise de demain sera-t-elle végétale ? Entrepreneur chevronné et passionné de bonsaïs, François Pinochet nous répond.
François Pinochet a su associer sa passion pour les bonsaïs à sa vie professionnelle. Ce bonsaïka en est convaincu : « l’intuition du végétal » peut nous guider dans la création et le développement d’entreprise. Rencontre.
Comment l’analogie du bonsaï et de l’entrepreneuriat a-t-elle germé ?
François Pinochet : Il y a une petite dizaine d’années, j’ai travaillé dans la communication chez Publicis, avant de créer mes agences. En parallèle, je pratiquais l’art du bonsaï, à la façon d’un jardin secret. Les passions viennent souvent de frustrations d’enfance. J’ai grandi en étant environné de béton et je manquais de verdure. Adolescent, c’est le côté esthétique, miniature, au même titre que mes maquettes d’avion ou de train, qui m’a attiré. Puis, petit à petit, c’est un véritable apprentissage de la nature qui permet de développer une intuition du végétal. Je n’avais jamais fait le lien entre ma passion et mon métier, jusqu’à ce qu’un coach en entreprise m’en fasse la remarque, constatant que j’utilisais systématiquement des métaphores autour du bonsaï pour parler de mes collaborateurs. J’ai creusé cette idée. Le bonsaï est devenu ma grille de lecture de l’entreprise et des équipes.
Vous faites d’ailleurs le constat que le lexique de l’entreprise est lié à celui du monde végétal.
F.P : Oui le vocabulaire d’entreprise auparavant était très militaire ; ce qui peut se comprendre. L’entreprise, telle qu’on la connaît, est née à l’ère industrielle. Après les guerres napoléoniennes, suivies des guerres coloniales, des guerres mondiales, de la guerre froide, puis des guerres de décolonisation…On retrouve le champ lexical des conquêtes, des empires, des campagnes, des cibles. Mais depuis 20 ans, on parle plutôt de culture d’entreprise, de jeunes pousses, incubées dans des pépinières. J’ai envie de croire que le monde de demain sera plus végétal que guerrier.
Avez-vous un exemple concret de cette métaphore du bonsaï appliquée à l’entreprise ?
F.P : Il y a trois travaux essentiels dans l’art du bonsaï, mais ce sont des opérations violentes qu’il faut espacer pour ne pas brutaliser l’arbre, voire le tuer ; la taille des racines, la ligature de la ramure, et la défoliation qui se fait au printemps. Dans mon parallèle, les racines représentent toute la production (comptabilité, finances, stocks…), la ramure symbolise les échanges avec l’extérieur et les feuilles matérialisent les membres de la société. Alors qu’en entreprise on a toujours tendance à vouloir tout faire en même temps, on se rend compte avec cette métaphore qu’on ne peut pas, la même année, tailler les racines, ligaturer la ramure et défolier. Cela reviendrait à réorganiser fondamentalement l’entreprise, tout en changeant son positionnement commercial. Aller trop vite fait perdre du temps au lieu d’en gagner et fragilise une société.
C’est d’ailleurs un autre point abordé dans votre livre : l’intérêt de l’entreprise à suivre le rythme des saisons pour se développer étape par étape.
F.P : Oui, nous vivons dans un monde qui s’accélère, par la mondialisation, la digitalisation. Le temps qu’on nous impose est celui du quartz présent dans nos téléphones ou ordinateurs. Or en le suivant, on dérègle le climat et le vrai rythme de la nature ! Celui de la rotation des planètes, des saisons, du jour et de la nuit. Il ne faut pas nous croire en dehors de la nature, on en fait partie. Je préfère le biorythme végétal, au rythme minéral que nous impose le digital.
Finalement, ce parallèle avec le bonsaï nous rappelle que le cheminement est aussi important que le résultat et qu’en entreprise, on n’est jamais totalement arrivé ?
F.P : Oui, d’ailleurs quand on est dans la phase de démarrage de l’entreprise, on effectue sans cesse des pivots, entre le projet de départ et ce à quoi on a abouti. Dans le monde du bonsaï, on évoque la racine pivot qu’on commence à couper parce qu’elle ne rentre pas dans le pot. Lorsqu’un entrepreneur est trop attaché à la raison pour laquelle il a créé l’entreprise, sans être capable de « pivoter », sa société risque de ne pas survivre au-delà des trois premières années. Il faut en effet distinguer l’objectif de l’intention. L’intention signifie la vision, la raison d’être. C’est un drame lorsqu’un manager les confond. Il va saucissonner le temps, travailler en objectifs intermédiaires, sur les durées les plus courtes possibles. On se retrouve alors à faire du reporting à la semaine, perdant de vue l’intention initiale. C’est pratique puisque tout le monde a rempli son objectif finalement, mais tout le monde se désengage. Alors, oui, c’est indéniable, ce qui est important, c’est la manière dont on parcourt le chemin. Et si chaque jour, tout le monde fait son travail du mieux qu’il peut, en étant attentif à respecter la raison d’être de l’entreprise, le résultat ne sera peut-être pas celui attendu initialement, mais il sera bon et conforme à l’intention. On peut faire un parallèle aussi avec l’alpinisme : ce n’est pas le prestige du sommet qui donne de la valeur à l’aventure, mais la façon dont on a gravi la montagne.
Le bonsaïka est donc comparable au manager…
F.P : Oui, le manager est à son entreprise ce que le bonsaïka est à son arbre ; porteur de la vision à long terme, de l’intention. Au quotidien, il a la responsabilité de créer des conditions de croissance et d’épanouissement des petites feuilles, qui sont autant de collaborateurs composant la société.
Vous nous avez confié qu’on vous demande souvent si vous parlez à vos arbres comme à vos équipes…
F.P : Oui ce à quoi je réponds en rigolant que je ne suis pas fou, je ne parle pas à mes bonsaïs… mais je les écoute. Tous les jours, je les arrose, je les regarde. Quand on fait cela, on développe une intuition : la moindre variation on la repère et on la traite tout de suite. Il faut se comporter de la même manière avec ses collaborateurs en entreprise. Etre attentif aux signaux faibles et ne pas attendre qu’un problème soit grave pour le traiter. Il faut savoir partager la vision à long terme de temps en temps seulement, car cela équivaudrait sinon à mettre de l’engrais tout le temps. Or, on ne met pas de l’engrais sur un arbre malade notamment, au risque de lui créer un stress supplémentaire, voire de l’achever. Idem, une équipe fragilisée, si vous essayez de la booster, vous allez lui créer du stress. Cela sera donc contre-productif.
De quel modèle de bonsaï se rapproche la franchise ?
F.P : Du bonsaï forêt. Car un franchiseur s’implante dans différentes villes, telle une même variété végétale qui donne une impression de puissance, liée au collectif. Des arbres qui se complètent, se soutiennent, et se protègent.
L’entreprise végétale – Le management à l’école du bonsaï, François Pinochet, L’Arbre de Mai Editions
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