Jeudi 3 octobre dernier, la Fédération du Commerce Associé organisait ses Rencontres annuelles. À cette occasion, plusieurs acteurs du retail ont débattu de l’avenir du commerce tel que nous le connaissons aujourd’hui, sous un format inédit.
Après un face à face des générations en 2023, la FCA réinvente de nouveau son format et propose pour ses Rencontres 2024 un Tribunal pour les Générations Futures. À la barre des témoins ont été appelés Thierry Cotillard, Président du groupement Les Mousquetaires, François Gemenne, politologue, Paul de Billy, CEO Alibaba France et Olivier Dauvers, expert de la grande consommation. Tous les quatre ont dû défendre chacun à leur tour le statut de commerçant en répondant à la grande question posée par ce tribunal fictif : Les commerçants ont-ils encore un avenir ?
Dans cette mise en scène, Blaise Mao, rédacteur en chef d’Usbek & Rica, incarnait le rôle du procureur et défendait la position suivante : “Non, les acteurs traditionnels du commerce, tels qu’ils existent aujourd’hui, n’ont pas d’avenir”. À la défense, Thierry Keller, journaliste, campant le rôle de l’avocat, prônait quant à lui le “Oui, le commerçant a encore un avenir”. Sous l’œil attentif de la journaliste Karine Vergniol, présidente du tribunal, et sous le coup de crayon du dessinateur de presse Xavier Gorce, greffier, les quatre témoins se sont relayés à la barre pour tenter de convaincre un jury composé d’une vingtaine d’étudiants de L’Université Paris Dauphine, qui ont dû, à la fin des plaidoyers, rendre leur sentence.
Pourquoi cette question ?
La première interrogation que l’on est amenés à se poser au début d’un tel débat est : « Pourquoi cette question ? » Qu’est-ce qui pourrait menacer à ce point les commerçants pour que leur avenir tout entier soit ainsi remis en cause ?
Françoise Gatel, Ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l’artisanat rappelle, en introduction de cette manifestation, que « le commerce est la première activité humaine qui crée l’échange et la rencontre. […] Celle-ci est aujourd’hui confrontée à des évolutions sociales et comportementales d’ampleur, ainsi qu’à une prise en compte extrêmement importante du développement durable, qui vient interpeller nos habitudes. »
En effet, il n’est plus rare aujourd’hui d’apprendre la liquidation judiciaire de grandes marques de prêt à porter. L’inflation, la crise du covid et la prise en compte du développement durable entraîne une vague de déconsommation susceptible d’impacter les commerçants. Le secteur souffre également d’un certain manque d’attractivité, entraînant une pénurie de main d’œuvre. Dans le même temps, on assiste à une transition numérique et technologique (IA, innovation, portage, e-commerce, magasins autonomes, drive, etc). Toutes ces évolutions viennent interroger, ou du moins transformer, le rôle du commerçant, laissant légitimement la place à cette question centrale : « Le commerçant a-t-il encore un avenir ? »
Quel avenir pour le commerçant ?
En réponse à ces challenges, François Gemenne, politologue, répond que le commerçant porte un rôle important dans la cohésion sociale d’un territoire qui n’est pas amené à disparaître, mais plutôt à se transformer. « Je pense qu’il est important que les enseignes de commerce soient conscientes de leur responsabilité et qu’il est dans leur intérêt d’évoluer. On voit se développer de nouvelles formes de commerce qui reposent notamment sur la location, le réemploi, l’économie circulaire. Peut-être que les commerçants, demain, ne seront plus uniquement des vendeurs, mais aussi des loueurs. […] Il y a de nouvelles attentes de la part des consommateurs et on voit que certains mouvements de la société civile peuvent faire évoluer les pratiques commerciales et les commerçants. L’enjeu pour le commerce est non seulement de répondre à la demande, mais aussi de l’anticiper et de créer de nouveaux modes de consommation qui soient plus responsables et plus durables. »
Concernant cet impact social du commerce, Thierry Cotillard, président des Mousquetaires, a quant à lui rappelé que le commerçant avait effectivement un rôle sociétal fort. C’est un aspect du métier qui a pu être observé lors de la crise du Covid-19, où certains commerçants, notamment dans le secteur de l’alimentaire, ont été considérés d’utilité publique. « Ça a remis l’église au centre du village, pour rappeler que le commerçant avait un rôle essentiel sur le sujet de l’alimentation. » a-t-il déclaré. Et d’ajouter que le chef d’entreprise, de par son activité, crée des emplois et peut aider des personnes à s’insérer dans le monde du travail. « Notre rôle, c’est justement d’aller vers les écoles et d’inciter tous les jeunes à venir [dans ce secteur d’activité] parce que le dernier argument [en faveur du commerce] et le plus important, c’est l’ascension sociale. » C’est à dire qu’une personne peut commencer comme stagiaire, alternant ou caissier en CDD dans des magasins Les Mousquetaires, et quelques années plus tard ouvrir son propre point de vente en tant qu’entrepreneur. Thierry Cotillard rappelle ainsi à quel point le métier de commerçant est passionnant : « Quand on va le matin dans nos points de vente ce n’est pas avec la boule au ventre. On y va par passion du client et par passion du commerce. C’est ça qui fait qu’on a un bel avenir ! »
Quant à la question du digital, qui interroge régulièrement l’utilité du commerce physique. Paul de Billy, CEO d’Alibaba France répond qu’« il est faux de dire que 100% des consommateurs acheteront demain sur Internet. Bien sûr qu’on a besoin d’une expérience en magasin, ce sont deux choses complémentaires. » Sur ce sujet de l’innovation et de la digitalisation, la Ministre Françoise Gatel confirme d’ailleurs l’idée que ces évolutions ne pourront pas se faire sans l’humain. « Il y a une réflexion partagée par beaucoup de la nécessité d’inventer autre chose. On parle d’innovation, de transition numérique, d’intelligence artificielle et je crois que toutes ces innovations ne peuvent que rendre [les commerçants] plus prospères dans le sens de la performance économique, mais aussi dans le sens de la cohésion sociale et de l’humain. Le e-commerce, par exemple, qui aujourd’hui est extrêmement développé dans les zones urbaines, se développe de manière non négligeable en ruralité. Et, je crois qu’il doit être un relais de croissance pour les commerçants et un levier de désenclavement des zones rurales. »
Le commerce associé : un modèle moderne ?
À l’issu des plaidoyers, les étudiants de l’Université Paris Dauphine, représentants de la Génération future, ont tranché en faveur du “oui” : oui, les commerçants ont encore un avenir. Une sentence que la Ministre Françoise Gatel avait quelque peu anticipée en introduction du débat en exprimant sa foi envers le modèle du commerce associé qui, selon elle, est une façon moderne de faire du commerce. « Je crois que votre force vitale, votre énergie, est aussi due à l’indépendance qui vous caractérise, puisque vous êtes des entrepreneurs indépendants, mais vous savez “faire ensemble”. Et chacun connaît cette phrase célèbre : “Ensemble, on va plus loin”. Je crois donc que votre force de frappe est particulièrement remarquable et que le commerce associé est vraiment le commerce de demain. »
Elle ajoute : « Je crois qu’aujourd’hui, dans une logique largement partagée par nos concitoyens de développement durable, on y retrouve les fondements de votre action, à savoir la responsabilité, la solidarité et le partage. Votre approche et votre philosophie sont d’une grande modernité, puisque vous montrez que la performance économique est non seulement compatible avec la responsabilité sociale, mais que ces deux éléments se renforcent mutuellement et se fertilisent. »
Notre résumé en 5 points clés par L’Express Connect IA
(vérifié par notre rédaction)
Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Les commerçants ont-ils encore un avenir ?
Défis du commerce traditionnel : Les évolutions sociales, la transition numérique, et le développement durable modifient le rôle des commerçants, menaçant leur modèle traditionnel avec une déconsommation croissante et une pénurie de main-d’œuvre en points de vente.
Nouveaux rôles des commerçants : François Gemenne souligne que le commerce doit évoluer vers de nouvelles pratiques, comme la location et l’économie circulaire, pour répondre aux attentes des consommateurs et anticiper leurs besoins, renforçant la responsabilité sociale du commerce.
Rôle sociétal essentiel : Thierry Cotillard insiste sur l’importance sociétale des commerçants, qui créent des emplois et encouragent l’ascension sociale, cultivant une passion pour le client et pour le commerce.
Complémentarité du digital : Paul de Billy affirme que le digital ne remplacera pas l’expérience en magasin physique, mais doit être utilisé comme complément pour rendre le commerce plus prospère et améliorer la cohésion sociale, notamment en zones rurales.
Commerce associé comme avenir : La ministre Françoise Gatel valorise le modèle moderne du commerce associé, basé sur la solidarité et le partage, qui montre que la performance économique et la responsabilité sociale se renforcent mutuellement.