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Franchise et RSE (3/5) : Comment lever les freins au sein d’une enseigne

Franchise et RSE : 
Comment lever les freins au sein d’une enseigne

Si le système de franchise est porteur de grands principes de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), l’intégration de bonnes pratiques à vocation sociale et écologique des franchiseurs, à leurs activités commerciales comme à leurs parties prenantes, ne s’est imposée que progressivement.


Voici comment certains d’entre eux, dès la naissance même du concept ou confrontés à l’évidence du terrain, ont réussi à lever les freins pour générer un mouvement d’ampleur au sein de leurs enseignes.

Franchise et RSE : la même logique de pérennité

Le principe de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) signifie de ne pas consommer plus que ce que la planète nous donne, de parvenir au moins à la neutralité, en évitant la surconsommation et la surexploitation des ressources, et de se mettre au service de la planète et de la nature.

Ainsi, « Le système de franchise s’inscrit par essence dans la RSE par ses valeurs de partage de richesse, le développement des compétences des entrepreneurs et des salariés par la formation, ainsi que par son action sur la revitalisation des territoires », souligne Rose-Marie Moins, Directrice Développement et Animation à la Fédération française de la franchise, et en charge du Cercle RSE.

Au-delà d’une obligation légale, en matière de RSE, toute entreprise possède une responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de ses écosystèmes. « Au niveau sociétal, pour rendre heureux ses collaborateurs, au niveau économique, à travers un business modèle pérenne, au niveau d’une relation éthique et durable avec ses fournisseurs, partenaires et clients, et enfin, bien sûr, au niveau environnemental, en ce qui concerne l’écologie.

C’est notamment pourquoi la franchise est un système vertueux : le franchiseur doit s’inscrire dans la pérennité des relations avec ses franchisés, à travers un business modèle permettant aux deux parties de gagner leur vie, sans s’exonérer d’une responsabilité aussi bien vis-à-vis d’eux, de leurs collaborateurs, du client final et de l’écologie », explique Laurence Vernay, dirigeante du cabinet TGS France Avocats.

RSE parfois dès les origines du concept

Des réseaux de franchise se sont lancés dès leur création dans ce qui ne s’appelait pas encore le développement durable, terme défini en 1987 (dans le rapport Brundtland pour l’ONU).

Fondateur de la marque bretonne en 1959 (deux ans après la marée noire du pétrolier Torrey Canyon), Yves Rocher, homme ancré dans son territoire, a voulu, à l’origine, lutter contre l’exode rural en cherchant à créer de la richesse à partir de la nature, pour faire revivre sa terre natale.

« Yves Rocher a créé la cosmétique végétale dans le but de démocratiser la beauté. Notre marque maîtrise aujourd’hui tous les métiers de la chaîne de valeur : botaniste, récoltant, concepteur de produits, fabricant et retailer, sans le moindre intermédiaire.

Notre démarche de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) s’est construite au fur et à mesure au sein du groupe, jusqu’à devenir une société à mission en octobre 2019 au sens de la loi Pacte, avec comme raison d’être « reconnecter les hommes et les femmes à la nature ». Nous devons même devancer la législation en matière de RSE, d’autant plus que sans la nature, nous n’existerions pas.

Preuve de notre volonté de mettre la RSE au cœur de notre stratégie, en début d’année, l’ancien patron de la RSE pour le groupe est devenu Directeur Général Monde », détaille Maëlle Filieul, responsable recrutement retail Franchise chez Yves Rocher.

De la démarche au passage à l’action

Les origines rurales du dirigeant jouent naturellement dans l’implication initiale de l’entreprise. Si Bureau Vallée, concept de fournitures de bureau, est né à Maurepas dans les Yvelines en 1990 (deux ans avant le troisième Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro), « la démarche Responsabilité Sociétale des Entreprises, marquée par des repères de la nature dans notre logo, s’est mise en place dans le réseau dès l’ouverture du premier magasin, par un fondateur auvergnat attaché à la terre.

Notre enseigne a ainsi inventé le rachat de cartouches d’encre il y a 22 ans. La notation écologique est apparue dès 2009 pour chaque produit. Nous avons accéléré cette démarche, devenue l’Action Sociétale et environnementale (ASE), dans un contexte où 90 % des émissions de CO2 sont liées à la vente de nos produits, en portant nos actions sur les assortiments et conceptions de produits.

Nous sommes ainsi discounter de marques, puisque nous ne possédons pas de marque propre. Depuis un an, nous avons lancé notre gamme Jet’up Green afin de développer des produits avec des émissions de CO2 basses. Sur la catégorie Papier, cela nous a permis de baisser d’environ 5 % nos émissions de CO2 – et de réaliser le premier papier écologique à prix accessible, fabriqué de préférence en France et 15 % moins cher que le référent », raconte Sébastien Tréguier, responsable Marketing, Communication, RSE de Bureau Vallée, ancien directeur des achats de l’enseigne.

Préférer une équipe transversale à un responsable RSE

Chez Ninkasi, la mise en place d’une démarche RSE s’est effectuée de manière naturelle, étant inscrite dans l’ADN de la marque depuis sa création en 1997 (huit ans après la marée noire de Exxon Valdez, et deux ans avant celle de l’Erika… Ter repetita !), et allant jusqu’à permettre à des artistes musicaux d’émerger.

« Nous avons créé des groupes de projets, constitués avec une quinzaine de collaborateurs issus des différents métiers, qui élaborent des plans d’action concrets, autour de douze enjeux prioritaires, pour réduire notre externalité négative et augmenter les opérations vivifiantes pour les territoires.

Exemple d’action au niveau humain : chacun(e) de nos serveurs(-ses) peut venir travailler chez nous avec sa religion et son look (percing, tatouages et cheveux longs autorisés), tant qu’il reste souriant, solidaire et professionnel. Cette absence d’a priori dans l’apparence nous apporte de l’éclectisme dans les personnalités et des compétences incroyables, que nous leur offrons d’exprimer. Nombre de stagiaires venus faire leur alternance chez Ninkasi il y a dix ans sont toujours présents dans nos rangs.

Pour lancer ou intensifier sa démarche RSE, il faut mettre en place une équipe transversale, et non un responsable RSE hyper spécialisé. Pour éviter l’effet silo, former une équipe pluridisciplinaire et identifier les collaborateurs les plus motivés et leur donner l’occasion de s’exprimer.

S’il est impératif de définir des axes et des engagements précis de manière collaborative, il faut mettre en place des ateliers sur le mode participatif, voire au contact du client, pour plus d’inclusion de tous les collaborateurs. Attention : la stratégie mise au point doit mesurer son efficacité à travers des indicateurs de pilotage, pour que ces résultats permettent d’être dans l’amélioration continue.

Aujourd’hui, nous réalisons 90 % de nos achats en France, et même 70 % en Auvergne-Rhône-Alpes, avec une construction de la filière pour des produits de qualité », précise Cécile Rivoire, directrice du réseau Ninkasi (neuf entités en propre, seize en franchise).

Donner du sens à la démarche, et surtout : « répéter, répéter, répéter » 

D’autres réseaux anciens ont opté, bien après leur naissance, pour une politique de développement durable.

Entreprise responsable depuis 2007 (date du Grenelle de l’environnement, incitant les entreprises à mieux appréhender la préservation des espaces naturels dans leur stratégie), le Groupe Dessange International s’est engagé dans une démarche de progrès continu à travers divers types d’actions, dont certaines originales, notamment pour réduire l’empreinte environnementale de ses salons ainsi que promouvoir la sécurité et le bien-être au travail.

« Dans le cadre d’une démarche RSE, il est fondamental de ne pas s’éparpiller, et de se focaliser sur quelques actions bien définies. Ainsi, en vertu de la loi AGEC, nous visons dorénavant l’usage d’aucun plastique. Les peignoirs à usage unique sont par exemple remis aux clientes dans une pochette en tissu réutilisable. Ce choix a un coût certain, mais nous ne devons pas dénaturer nos valeurs, comme préserver nos protocoles d’hygiène.

Il faut également donner du sens à la démarche, pour le franchisé lui-même, et idéalement pour ses clientes. Et surtout : « répéter, répéter, répéter », en tentant de surprendre nos franchisés dans la présentation lors de nos prises de parole, pour faire comprendre pourquoi c’est important et comment adopter une démarche RSE.

Une journée de séminaire peut être longue pour des franchisés peu habitués à rester assis dans une salle de réunion et, face à une mémoire sélective, il n’est pas toujours facile d’émerger par rapport à d’autres sujets comme les nouveautés produits, la communication ou le digital. D’où l’importance de surprendre et « répéter », mais toujours d’une façon différente », rappelle Sophie Joubrel, Directrice Générale chez Dessange, en charge de la Division Produits mais également de la Communication et de la RSE.

Définir des enjeux majeurs pour l’entreprise

Concept à mi-chemin entre la boulangerie traditionnelle et la restauration rapide, créé en 1985 (entre les catastrophes de Bophal et de Technobyl), La Mie Câline, a lancé un Comité Développement Durable 23 ans plus tard (deux ans avant la naissance de la norme ISO 26 000, qui établit les grandes lignes de la RSE à l’échelle internationale).

« Notre but était d’avancer en préservant la durabilité des décisions. Dès l’année suivante, en 2009, nous avons construit une plate-forme de distribution éco-responsable avec des panneaux photovoltaïques, une toiture végétalisée ou encore la récupération des eaux de pluie. Avec un slogan en tête : « Câlinons notre planète ».

Si nous avons travaillé par la suite sur notre impact sur l’environnement, en particulier avec la réalisation de bilans carbone de l’enseigne ou la recyclabilité de nos déchets, c’est en 2018 que nous avons lancé une grande réflexion pour écrire notre stratégie globale en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises. Nous avons alors interrogé toutes les parties prenantes pour finalement définir 6 enjeux majeurs, classés en trois grandes thématiques.

Tout d’abord, les enjeux liés à nos produits comme la provenance de leurs matières premières, leur naturalité – sans conservateur, ni additif – ou une offre respectueuse de l’environnement.

Ensuite, les enjeux liées aux personnes travaillant au sein de l’entreprise, comme donner du sens à ses missions, l’équilibre vie professionnelle/privée, la mise à disposition d’une assistance juridique pour nos collaborateurs, le don de journées solidaires, par exemple en cas de problème de santé grave ou du décès du conjoint, ou leur évolution au sein de notre enseigne. Ainsi, 23 % des franchisés sont issus de notre groupe.

Enfin, la diminution de notre empreinte environnementale, à l’image du programme Fret 2021, pour mieux intégrer l’impact des transports dans notre stratégie de développement durable », précise Sylvia Touboulic Barreteau, directrice générale déléguée responsable du développement et de la stratégie RSE à La Mie Câline.

Nous ne sommes qu’un maillon d’une chaîne de valeurs

Pour lever les freins au sein d’une enseigne, il demeure donc fondamental de connaître et identifier ses enjeux et ses pratiques en matière de RSE, les comprendre et les intégrer dans un modèle économique, dans ses activités. Et surtout, de rester attentif aux intérêts de chacun pour définir un rapport qui soit gagnant/gagnant nécessite de prendre de la hauteur.

Il faut ainsi savoir écouter toutes les parties prenantes : clients, collaborateurs, actionnaires, fournisseurs, partenaires, société civile…

« Nous ne sommes qu’un maillon d’une chaîne de valeurs, où chacun porte une certaine responsabilité, ce qui implique d’agir ensemble, et non les uns contre les autres.

Pour développer une démarche RSE au sein d’un réseau, il n’existe pas de méthode duplicable d’une enseigne à une autre, en raison d’enjeux différents à poursuivre liés à des éléments comme le secteur d’activité, ou encore la culture d’entreprise. Il faut ainsi partir de l’identité de chacune pour co-construire ensemble.

Nous accompagnons ces transitions : son cœur est constitué des principes de RSE, et ses jambes de l’intelligence collective. En faisant travailler tous les acteurs ensemble, nous les amenons à se questionner sur leur modèle d’affaires et leur utilité sociétale, à écouter d’autres personnes que d’habitude, et notamment à faire se parler des gens qui ne se parlent pas, pour percevoir où l’on a intérêt à agir.

L’objectif : les aider à co-construire un projet d’avenir, d’enseigne, inspirant, avec pragmatisme, qui embarque toutes les parties prenantes en restant opérationnel, concret, simple à implanter tout de suite, pour définir le chemin pour aller dans le futur, en capitalisant sur l’existant et en allant plus loin ensemble, grâce à une vision plus large », explique Delphine Lopez, fondatrice de id&d, cabinet de conseil et facilitation en matière de développement durable et de RSE à Toulouse.

Rejoindre une communauté RSE pour s’enrichir de l’expérience des autres

Dans ce contexte, la Fédération Française de la Franchise (FFF) a d’abord ajouté un article au Code de déontologie de la franchise, par lequel le franchiseur, adhérent de l’institution, s’engage à mettre en place une démarche RSE dans le développement de son réseau. 

« Mais nous devions aller plus loin ! Nous avons donc lancé en 2021, en partenariat avec la société spécialisée Hyssop, un Cercle RSE, lieu d’informations et d’échanges de bonnes pratiques en matière de RSE.  Nous aidons ainsi nos réseaux adhérents à structurer et développer leur démarche RSE. Chaque réunion possède un thème et bénéficie de l’apport d’expérience des enseignes les plus avancées dans le domaine », relève Rose-Marie Moins, Directrice Développement et Animation à la Fédération française de la franchise, et en charge du Cercle RSE.

Dans cette réunion mensuelle, les enseignes témoignent de leurs méthodologies en interne et de leurs résultats, n’hésitant pas à partager leurs savoir-faire en matière de RSE.

« Tous les membres du Club RSE sont présents pour s’écouter les uns les autres et se donner les bonnes idées. Nous avons, par exemple, mis à disposition des autres enseignes notre Guide RSE Retail, créé pour notre réseau en France. Ce document d’une dizaine de pages donne, sur un mode ludique, des pratiques de bon sens, simples à s’approprier, comme par exemple pour réduire sa consommation d’électricité, éviter le gaspillage de l’eau dans les cabines de soin, ou être bienveillant vis-à-vis de personnes en situation de handicap. Nos conseillères sont considérées comme nos premières vitrines : la RSE doit passer dans leur vocabulaire, leurs actions », indique Maëlle Filieul, responsable recrutement retail Franchise chez Yves Rocher.

Génération Responsable, réseau de retailers concernés par les mêmes problématiques RSE, est une autre communauté existante, avec le même état d’esprit collaboratif.

« Cette source de réflexion collective est enrichissante et inspirante, d’autant qu’elle s’effectue en toute transparence, bien que nous soyons concurrents sur le marché. Nous travaillons aussi entre confrères sur le sujet de la RSE au sein de la Fédération des Entreprises de Boulangerie/ Pâtisserie (FEB), ce qui reste un vrai changement de paradigme, le collectif se mettant naturellement au service de l’individuel.

Le Cercle RSE de la Fédération française de la franchise, plus récent, s’inscrit dans la mouvance de ce travail collaboratif, dont le but est de sensibiliser, d’entraîner les réseaux dans des démarches construites avec une stratégie de transition, des clés opérationnelles et du partage d’expériences », souligne Sylvia Touboulic Barreteau, directrice générale déléguée responsable du développement et de la stratégie RSE à La Mie Câline.

Inspiration, co-construction et valorisation : les 3 piliers de Génération Responsable

Aujourd’hui, une enseigne ne peut plus travailler de façon dissociée avec ses collaborateurs, qui attendent que leur entreprise leur rende compte. « Les turn-over de salariés sont souvent dus à un manque de transparence, lequel génère une perte de fidélité au réseau. Si le commerce ne se transforme pas, personne dans le monde ne le fera. C’est pourquoi j’ai créé l’association Génération Responsable en 2007, autour de 3 piliers : l’inspiration, la co-construction et la valorisation.

Pour l’inspiration, nous avons interviewé des sachants, des visionnaires, des experts, pour obtenir des retours d’expérience, échanger et partager avec eux sur le développement durable, et notamment, trouver des arguments pour convaincre les directions générales des enseignes.

Pour la co-construction, il était indispensable d’apprendre aux enseignes à réfléchir, travailler, expérimenter ensemble de nouveaux process. Et sans s’arrêter à la concurrence entre elles. Par exemple, à partir d’une étude des besoins, nous avons travaillé de façon opérationnelle avec 7 réseaux de jardineries sur l’éco-conception du pot horticole, en optimisant et partageant les coûts.

Enfin, pour la valorisation, le mode d’emploi reste l’exemple : se nourrir et nourrir le collectif de ses propres expériences. Nous avons élaboré un guide Enseigne Responsable, notre bible remise à tous les nouveaux arrivants de Génération Responsable, construite autour des 7 grands principes de la norme ISO 26 000 : législation, expertises, solutions, bonnes pratiques, contacts pour les aider dans la mise en œuvre… », conclut Jocelyne Leporatti, présidente du collectif Génération Responsable (85 réseaux adhérents, développés en franchise, en succursale ou dans le commerce associé).

À lire aussi sur What The Franchise : << Franchise et RSE (2/5) : Deux concepts répondant à des problématiques environnementales et sociétales
>> Franchise et RSE (4/5) : Mode d’emploi pour la stratégie opérationnelle d’un réseau

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