Quand les femmes quittent les entreprises et redessinent un nouveau modèle de réussite sociale

Céline Alix femmes réussite sociale

Pour répondre à nos désirs de réussite sociale, on opte parfois pour une reconversion. Mais si la réponse venait plutôt d’un réajustement, afin de tabler sur ses acquis tout en créant son propre modèle ? Elements de réponse avec Céline Alix qui a observé tout particulièrement les femmes et leurs évolutions de carrière.


Partant de son expérience personnelle, Céline Alix, ancienne avocate, a saisi une véritable tendance de fond. Grand nombre de femmes n’hésitent pas à redessiner leur carrière, à la réajuster pour mieux s’aligner avec leurs désirs profonds, s’extirpant ainsi d’un moule de réussite professionnel unique, trop étriqué. Entretien avec l’autrice de l’ouvrage Merci mais non merci – Comment les femmes redessinent la réussite sociale.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

Céline Alix : On m’a présenté un modèle de réussite classique : faire de bonnes études, avoir un beau poste, gagner de l’argent, avoir du pouvoir et un statut. Je suis partie tête baissée là-dedans, et je suis devenue avocate dans des cabinets anglais, américain. Tout fonctionnait très bien, mais au bout d’une dizaine d’années, j’ai commencé à m’interroger. J’avais l’impression de toucher du doigt la réussite sans que cela me convienne. J’avais une sensation d’inefficacité, de perte de temps. J’ai réalisé que c’était tout un imaginaire de la réussite dans lequel je ne me sentais pas à ma place. Avant cette déconstruction, j’ai ressenti un grand sentiment d’échec en me disant que je ne parvenais pas à m’adapter au modèle. Et cela, je l’ai beaucoup retrouvé chez les femmes que j’ai interviewées. Elles se dévalorisent, ne se considérant pas assez volontaires, ambitieuses… avant de prendre conscience que le modèle n’est peut-être pas universel. Cela a été difficile aussi d’accepter de m’appuyer pendant un temps sur mon mari pour organiser mon changement d’activité, car les six premiers mois je n’avais pas de revenus suffisants. J’avais cette vision post-seventies : la femme doit s’assumer sans demander de l’aide. Les femmes, arrivées plus tard sur le marché du travail, ont un regard plus extérieur. Mais finalement j’ai aussi constaté que beaucoup d’hommes se posent les mêmes questions et trouvent ce modèle périmé, rejetant cette course à la performance. 

À quoi ressemble votre nouvelle vie ?

Céline Alix : Je suis devenue traductrice juridique. Ce qui est génial, c’est que j’ai tout défini de A à Z : comment je travaille, avec qui, quand… Nous sommes huit anciennes avocates avec un modèle libre puisque nous sommes toutes indépendantes, mais nous formons un collectif. C’est très souple, sans hiérarchie, en pleine confiance. Je viens de mettre cette activité en suspens pour pouvoir me consacrer à l’écriture d’un second livre, un roman cette fois. 

En partant de votre propre expérience, vous constatez que de nombreuses femmes abandonnent leurs postes à responsabilités en cours de carrière et cela porte un nom : l’opting out. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Céline Alix : Oui, j’ai découvert ce phénomène via le livre d’une sociologue américaine, Pamela Stone**. Elle constate qu’aux Etats-Unis, beaucoup de femmes travaillant, mariées et mères, interrompent tout, en pleine carrière ascendante, pour devenir mère au foyer. En France, c’est différent : les femmes veulent continuer à travailler. Elles font plutôt un pas de côté, avec d’autres choix de carrière, sans sortir du système. Disons qu’elles en créent un, parallèlement. Ce que j’ai retenu de mon enquête auprès des femmes rencontrées, c’est qu’elles n’abandonnent généralement pas un métier. La plupart continuent mais l’exercent différemment et à leur manière. Il s’agit plutôt de redéfinir sa manière de travailler que d’opérer un changement radical, une reconversion. Cela permet de capitaliser sur ses acquis, aussi bien en termes de compétences que de réseau. 

Qu’est-ce que cette vision différente du milieu professionnel dont les femmes sont les cheffes de file peut apporter à la société ?

Céline Alix : Cette vision me semblait aller dans le sens de tous les enjeux sociétaux : est-ce que l’on a envie de tous passer notre vie au bureau, posséder, performer, consommer toujours plus ? Et puis c’est intéressant d’observer comment les femmes travaillent ensemble. On est finalement la génération qui expérimente cela. Je pense que les femmes, ont toutes la volonté d’être efficaces et quand on a cela en tête, cela change la manière de travailler. Alors que le modèle traditionnel repose plutôt sur le profit et le fait de se mettre en avant, les femmes vont avoir tendance à vouloir travailler bien et vite. Je ne dis pas que c’est une meilleure approche, mais elle est différente et c’est intéressant de s’y pencher. On peut faire un lien avec le monde de la franchise, car les femmes sont très ouvertes au partage d’expérience, au sens du collectif. Le modèle des franchises peut d’ailleurs convenir aux femmes, et à toutes les personnes de façon générale, qui souhaitent entreprendre tout en étant sécurisées. 

* Merci, mais non merci, Comment les femmes redessinent la réussite sociale, Céline Alix, éditions Payot
** Opting out ? Why Women Really Quit Careers and Head Home, Pamela Stone, Berkeley, University of California Press, 2008. 

Crédit photo : ©Claritas

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