Doit-on encore parler d’entrepreneuriat féminin ?

10 mars 2024
Categories : Parler d'entrepreneuriat des femmes plutôt que d'entrepreneuriat féminin.
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En ce lendemain de 8 mars 2024, Journée internationale des droits des femmes, l’heure est au bilan. Et celui-ci reste encore en dessous des espérances. En témoigne l’enquête menée par l’accélérateur Willa, en collaboration avec Roland Berger et France Digitale, selon laquelle les femmes représentent presque la moitié de la population active (48 %), mais seulement 30 % des chefs d’entreprise.


Pour les encourager à se lancer, on met volontiers à l’honneur l’entrepreneuriat féminin, un terme qui peut faire débat car il sous-entend qu’il existe une autre catégorie d’entrepreneuriat, plus large, inaccessible aux femmes. Interrogée sur cette question, Marjolaine Pierrat-Ferraille, Déléguée générale de l’incubateur Les Premières, répond qu’elle préfère parler d’entrepreneuriat des femmes. Une subtilité qui change beaucoup de choses.

Parler d’entrepreneuriat des femmes rappelle qu’il existe autant de manières d’entreprendre que de porteuses de projet, la où le terme d’entrepreneuriat féminin tend à laisser penser qu’il n’existe qu’une façon unique de créer son entreprise lorsqu’on est une femme. C’est d’ailleurs cet entrepreneuriat dit “féminin” qui soufre des plus gros a priori, parmi lesquels l’idée que les entreprises créées par des femmes ne sont que “de petits projets féminins et peu ambitieux”.

S’il est vrai qu’elles ne se lancent pas pour les mêmes raisons que leurs homologues masculins, les femmes ne manquent pourtant pas d’ambition. « L’enjeu financier est la motivation principale chez les hommes (26 %), mais arrive en quatrième position chez les femmes (18 %). Leur première raison d’entreprendre est l’envie de réaliser un rêve et d’exercer une activité en adéquation avec leurs valeurs. », précise Marjolaine Pierrat-Feraille.

Elles développent alors généralement des concepts qui leur ressemblent et qui répondent à leurs besoins. En cela, on peut vite considérer ces projets comme des “business féminins”. Pour autant, ils rencontrent un marché et s’inscrivent dans de nombreux secteurs d’entrepreneuriat. Marjolaine Pierrat-Feraille prend l’exemple d’une porteuse de projet qui a développé une application à destination des victimes de violences conjugales ou d’une autre qui a créé une technologie de bio impression 3D de prothèses mammaires. « Entreprendre, c’est répondre à un besoin de manière innovante. Effectivement, ce sont des projets qui s’adressent aux femmes, mais ce sont surtout des sujets de sécurité des données et de deep tech, et là, ça sonne tout de suite moins féminin. » expose Marjolaine Pierrat-Ferraille.

Mais que l’on parle d’entrepreneuriat féminin ou non, le sujet principal se trouve ailleurs. Selon l’enquête de Willa, les inégalités d’accès au financement restent un frein à l’entrepreneuriat des femmes. En effet, celles-ci lancent souvent leur activité avec un capital inférieur à celui des hommes : 50 % d’entre elles démarrent à moins de 40 000 euros de revenus annuels, quand 50 % des hommes se lancent à moins de 60 000 euros. Elles ont également plus souvent recours au crowdfunding, afin de conserver le contrôle sur leur entreprise. Les hommes (40%) réalisent quant à eux deux fois plus de levées de fonds que les femmes (17%) et le seuil du million d’euros levé n’est franchi que par 22% d’entre elles, contre 40% des hommes.

Des inégalités qui ont de lourdes conséquences. « 67% des entrepreneures ne se payent pas le SMIC. C’est énorme. Il y a des écarts de revenus entre les hommes et les femmes qui sont à peu près similaires à ceux qui existent dans le salariat,  notamment sur la micro-entreprise et l’auto entrepreneuriat. », constate Marjolaine Pierrat-Feraille. Une tendance qu’elle explique par plusieurs centaines d’années d’inégalités. « Quand on a fait du travail gratuit pendant des siècles ou quand on est moins bien payé en entreprise, il devient naturel de fixer une valeur à son travail en dessous du réel, ce qui conduit à cette différence de revenus. C’est grave parce que, comme elles ne se payent pas assez, elles perdent en autonomie et se mettent en danger, elles et leur entreprise. » détaille la Déléguée générale des Premières.

Pourtant, les femmes ne manquent pas d’ambition, elles ne l’expriment cependant pas de la même manière que les hommes et vont se montrer davantage prudentes au moment d’annoncer leurs prévisionnels. « Elles ne vont présenter un chiffre que si elles sont sûres à 100 %, voire à 120 %, de pouvoir le réaliser. » C’est cette prudence qui rend leurs entreprises, à terme, plus pérennes que celles des hommes. Mais un financeur ou un banquier, s’il n’est pas sensibilisé, ne peut que constater le manque d’ambition du projet qui lui semblera un peu pauvre et moins pertinent que ce qu’il pourrait être.

C’est en cela que l’accompagnement d’incubateurs comme Les Premières est essentiel pour dynamiser la création d’entreprise par des femmes. En s’attaquant aux biais de genre et en avertissant les porteuses de projet sur leurs tendances à se déprécier, ces organismes les aident à construire leur projet et à le vendre à des investisseurs. « C’est une histoire qui est longue à corriger et qui se joue au niveaux de l’éducation. Il faut continuer de communiquer, d’expliquer, de montrer aux femmes qu’elles ont leur place, de les coacher. Malheureusement, les réseaux d’accompagnement dédiés aux femmes ont encore de l’avenir. » constate Stéphanie Tosi, fondatrice de l’enseigne Carré d’artistes. « Moi-même, au début, je me disais qu’il fallait cesser de mettre en avant un entrepreneuriat féminin. Mais aujourd’hui, au vu des chiffres, je crois qu’il faut continuer de pousser celles qui ont la fibre entrepreneuriale, car elles sont nombreuses à avoir peur. Ça les tétanise. »

Ce discours doit également s’adresser aux investisseurs, banquiers et business angels, mais aussi aux hommes, qu’ils soient compagnon, ami ou père d’une entrepreneure. Car, pour permettre aux femmes de prendre leur place dans le monde de la création d’entreprise, il faut parvenir à équilibrer la répartition des tâches dans la famille, un rôle qui incombe au moins à moitié à la gente masculine. « Celles qui réussissent ont su mettre en place une organisation complètement équilibrée au sein de leur famille. Je serais toujours infiniment reconnaissante envers mon ex-mari qui m’a entièrement soutenue dans mon aventure entrepreneuriale. Même s’il n’a pas participé à la création de l’entreprise, il a été un vrai allié psychologique et organisationnel. Sans cela, je n’aurais pas pu le faire. » témoigne Stéphanie Tosi. Et de conclure : « Donc, oui, il faut pousser les femmes, mais il est aussi nécessaire de parler aux hommes pour qu’ils comprennent le sujet global et qu’ils les aident à construire un cadre. »


(vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet “Doit-on encore parler d’entrepreneuriat féminin ?” :

Représentation et ambitions: Malgré une population active composée de 48 % de femmes, elles ne représentent que 30 % des chefs d’entreprise. Cette disparité s’explique non pas par un manque d’ambition, mais par une différence d’approche dans la création d’entreprise, les femmes privilégiant la réalisation de projets en adéquation avec leurs valeurs.

Terminologie et perception: L’emploi du terme “entrepreneuriat féminin” est remis en question pour sa tendance à catégoriser et à sous-entendre une forme d’entrepreneuriat moins sérieuse ou ambitieuse. La préférence va vers “l’entrepreneuriat des femmes”, soulignant la diversité et l’importance de leurs contributions au-delà des stéréotypes.

Inégalités de financement: Un obstacle majeur à l’entrepreneuriat féminin est l’accès inégal au financement, avec des femmes démarrant souvent leur activité avec un capital moindre que les hommes. Cette disparité a des conséquences directes sur leur rémunération et la pérennité de leurs entreprises.

Importance de l’accompagnement: L’accompagnement par des incubateurs spécialisés est crucial pour aider les femmes à surmonter les biais de genre, à valoriser leur travail correctement et à sécuriser le financement nécessaire pour leurs entreprises. Ces organismes jouent un rôle vital dans l’équilibrage des opportunités d’entrepreneuriat.

Rôle des hommes et de la société: Pour favoriser un environnement propice à l’entrepreneuriat féminin, il est essentiel d’impliquer les hommes et la société dans le soutien des entrepreneures. Ceci passe par une répartition équilibrée des tâches au sein des familles et une sensibilisation des investisseurs et des institutions financières aux enjeux spécifiques rencontrés par les femmes entrepreneures.

Écrit par Sibylle Pinochet

Rédactrice en chef

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