[Tribune] Dans cette tribune, François Blouin, dirigeant fondateur de Food Service Vision, commente la 16e édition de la Revue Stratégique de Food Service Vision qui décrypte les tendances du secteur de la restauration pour ce dernier trimestre 2023.
La restauration est duale : elle répond à un désir de consommer profond, mais n’est en rien un loisir « indispensable ». Les restaurateurs ont donc plus que jamais un devoir, celui d’être attentifs à leurs clients.
Le monde n’est pas follement gai par les temps qui courent. Dès le lever, le carrousel des mauvaises nouvelles tourne en boucle sur les chaînes d’infos : l’inflation sur les produits alimentaires, la hausse spectaculaire des carburants, les risques sur le pouvoir d’achat, la guerre en Europe, la guerre au Proche-Orient… Y a-t-il encore un endroit, un moment, pour rire, faire la fête entre amis, célébrer une rencontre amoureuse ou découvrir des saveurs inattendues, le temps d’un bon repas ? Oui, cela s’appelle un restaurant et il y en a plus de 175 000 en France… Et pour l’instant, ils ne semblent pas gagnés par la morosité. Dans notre Revue stratégique de septembre, nous observons que sur les mois de juin, juillet et août, la restauration enregistre une hausse de son chiffre d’affaires de 7 % en valeur par rapport à la même période de l’année dernière, alors qu’au même moment, la consommation alimentaire des ménages enregistre une baisse de 7,3 % en volume sur le mois d’août d’après l’INSEE.
La restauration serait-elle le seul secteur de la consommation qui échapperait aux arbitrages des ménages ? Le restaurant agirait-il comme un remède contre la mélancolie ? Pas si vite… Il faut d’abord revenir sur cette nuance fondamentale entre croissance en valeur et croissance en volume. En période de forte inflation, comme celle que nous traversons aujourd’hui, il vaut mieux raisonner en volume. Or, si le chiffre d’affaires est en hausse de 7 % sur les trois mois d’été, la fréquentation, elle, est estimée stable en restauration commerciale. Certes le désir est là, l’envie d’aller au restaurant est partagée par plus de 85 % des consommateurs. Mais en creusant un peu plus dans les data, on observe aussi que cet été, près d’un Français sur trois reconnaît avoir réduit ses dépenses en restauration et un sur cinq a réduit le nombre d’items commandés.
Si le contexte général de la consommation « loisirs » des ménages conditionne naturellement l’activité de la restauration, la chance de notre filière est que la vigueur de son activité dépend aussi d’autres facteurs : le nombre de visiteurs étrangers, les grands évènements, l’équilibre entre le travail à distance et le « présentiel », les déplacements et voyages d’affaires, la météo… De ce point de vue, l’arrière-saison a été plutôt favorable, avec du beau temps jusqu’à la mi-octobre, la Coupe du monde de rugby, la reprise de grands évènements BtoB… Ce sont des « plus » non négligeables qui expliquent une partie de la résilience de la restauration.
Cette résilience est-elle pérenne ? Difficile à dire. La restauration est duale : certes, elle répond à un désir de consommer profond, mais elle n’est en rien un loisir « indispensable », elle l’est moins en tout cas qu’un abonnement à une plateforme VOD. Entre Netflix et McDonald’s, qui est le plus irremplaçable ? Il est probable que nous allons observer une sorte de polarisation de la consommation de restauration, que l’on voit déjà se dessiner dans les chiffres : le tiers des consommateurs qui représente les deux tiers de l’activité (ce sont d’abord les jeunes urbains, qu’ils soient CSP+ ou CSP-) renforcera son poids au restaurant au détriment des deux autres tiers, plutôt plus âgés, résidants en zone rurale ou peu urbanisée et contraints dans leur pouvoir d’achat.
Cette évolution est-elle souhaitable ? En termes sociétaux, certainement pas. C’est pourquoi la résilience de la restauration ne tient pas seulement à l’attitude des consommateurs, elle dépend aussi de ce que vont faire les restaurateurs. Ces derniers sont très attentifs à leurs clients. Ils savent que la forte inflation de leurs coûts qu’ils ont dû répercuter en partie sur le prix des cartes leur a fait perdre des clients. Ils savent également que certains de leurs concurrents ont su préserver leur fréquentation avec des actions marketing appropriées en termes de fidélisation de clientèle et d’offres (plats partagés, menu petit prix, promotions croisées…). Ce sont des pratiques que l’on n’avait plus vues depuis la crise financière de 2008, mais qu’il est tout à fait possible d’adapter aux conditions d’aujourd’hui.
Car notre conviction est que, plus que jamais, la restauration gagnante, celle dont la résilience sera la plus forte, sera une restauration qui sait se rendre accessible au plus grand nombre. La restauration n’a jamais été et ne sera jamais un plaisir solitaire…