Référencer sa franchise

Management : la psychologie comme levier d’émancipation

Management : la psychologie comme levier d’émancipation

[Tribune] En tant que spécialiste en comportement organisationnel, je constate au quotidien que la psychologie a fait irruption dans les bureaux comme une nouvelle doctrine, largement diffusée dans des présentations PowerPoint standardisées et des sessions de coaching. Jadis réservée aux cabinets feutrés, elle s’est progressivement muée en outil de gestion du « capital humain ». On ne parle plus d’employés, mais de « ressources », et celles-ci doivent être optimisées, motivées, alignées sur des valeurs d’entreprise – tout un programme.


Pour autant, derrière cette instrumentalisation apparente, se dessine une réalité plus nuancée : la psychologie et les fameuses « soft skills » jouent un rôle déterminant dans l’évolution du travail, en réinventant le management et en répondant aux nouvelles aspirations professionnelles. Lorsque j’ai échangé avec la directrice générale d’une PME dans l’agroalimentaire, elle me confiait : « Nous nous sommes rendu compte que si nous n’accordions pas plus d’attention aux mécanismes de stress et de motivation de nos équipes, nous courrions droit à l’impasse. Nous avons donc fait appel à une approche de psychologie positive, mais avec des objectifs concrets et transparents. »

On nous promet du bien-être, de l’épanouissement, des méthodes révolutionnaires censées faire de chaque salarié un super-héros de l’entreprise. La pyramide de Maslow, brandie telle un dogme, s’impose dans une multitude de formations de leadership. « Donnez du sens », « Soyez authentiques », « Développez votre intelligence émotionnelle ». Ces injonctions, répétées à l’envi, peuvent finir par perdre de leur profondeur.

Dans certaines entreprises, on voit fleurir des séminaires de « bonheur au travail » où l’on prône l’écoute active et la méditation express. J’ai accompagné un groupe industriel dont le dirigeant, malgré toute sa bonne volonté, avait imposé à ses collaborateurs un « rituel matinal de gratitude » censé booster leur motivation. Au bout de quelques semaines, un malaise est apparu : les salariés se forçaient à trouver des choses positives à partager, par crainte d’être jugés. Résultat, ce qui se voulait un moment d’ouverture a généré l’effet inverse : une surenchère de « belles histoires » qui n’étaient pas nécessairement sincères.

Pourtant, on ne peut réduire la psychologie dans l’entreprise à ce folklore : bien mobilisée, elle apporte des clés pour comprendre les motivations profondes, l’engagement ou les facteurs de stress. Une directrice RH d’un cabinet d’audit m’a récemment expliqué : « En étant réellement à l’écoute des attentes de chaque consultant, nous avons mieux compris les raisons profondes de leur turnover. Nous avons alors revu la gestion des plannings et instauré un accompagnement individuel qui dépasse la simple formation technique. »

Les neurosciences ont récemment pris le relai comme nouveau Saint Graal du management. Elles expliqueraient tout : la procrastination, les biais cognitifs, ou encore la fatigue post-réunion Zoom. « Comprendre le cerveau pour mieux manager » : voilà le slogan de certains gourous du leadership.

Dans la pratique, beaucoup d’entreprises tâtonnent. À plusieurs reprises, des dirigeants que j’ai conseillés ont tenté des expériences d’« optimisation » basées sur le fonctionnement cérébral, comme des pauses minutées pour booster l’attention, ou la diffusion de playlists spéciales « flow » dans les open spaces. Or, si ces initiatives ont fait mouche chez certaines équipes, d’autres s’y sont opposées, se disant infantilisées.

Pour autant, bien employées, les neurosciences permettent de mieux cerner la singularité de chacun et d’offrir un management plus personnalisé. Un directeur régional d’un réseau de distribution que j’ai accompagné a, par exemple, formé ses managers à reconnaître les signes de surcharge cognitive (comme la difficulté à se concentrer ou l’irritabilité croissante) afin de mieux répartir les missions. « Nous avons vu un véritable changement, admet-il, car nos chefs d’équipe sont désormais plus attentifs à la manière dont chaque collaborateur réagit face à la pression. »

Le développement personnel, qui aurait pu être une véritable bouffée d’oxygène pour des salariés en quête de sens, tourne parfois à la simple méthode Coué. Vous vous sentez stressé ? On vous reproche de ne pas méditer suffisamment. Vous ne trouvez pas de sens à votre fonction ? C’est de votre faute, vous manquez de gratitude. Résultat : au lieu de questionner des process inadaptés ou des modes de management datés, la responsabilité est renvoyée aux individus.

Un dirigeant d’une grande société de conseil m’a confié : « À force de mettre en avant la pensée positive, nous avons généré chez certains une culpabilité supplémentaire : ils se reprochent de ne pas être assez “motivation-friendly”. » Pourtant, dès que ces approches sont appliquées avec discernement, elles offrent de réels bénéfices. J’ai vu plusieurs PME adopter la méditation ou le yoga de manière volontaire, dans un programme global de prévention du stress : groupes de parole, formation des managers à l’écoute, et réévaluation des charges de travail. Dans ce cadre, la méditation n’est pas perçue comme la solution ultime, mais comme un outil parmi d’autres pour aider chacun à trouver un équilibre.

Plus que jamais, l’entreprise fait face à des salariés qui veulent du sens. Les organisations porteuses de sens qui l’ont compris ne cochent pas seulement la « case bien-être » en planifiant un atelier zen ou une conférence sur la gratitude : elles repensent la flexibilité offerte, la répartition des responsabilités et la manière de faire monter les collaborateurs en compétences.

Il faut sans doute accepter que le management reste en partie un jeu, où chacun compose avec les règles et les rôles en place. La psychologie, si elle est utilisée à bon escient, peut devenir un levier d’émancipation ; mal employée, elle se résume à un habillage favorisant le « toujours positif ».

Refuser l’optimisme artificiel ne signifie pas renoncer à toute évolution. À mesure que les attentes se transforment, les entreprises sont amenées à adapter leurs pratiques managériales, d’abord parce qu’elles y sont incitées par des collaborateurs plus vigilants à la cohérence entre discours et actes. De fait, beaucoup de dirigeants évoquent un défi majeur : comment véritablement mettre en place des conditions de travail plus respectueuses, tout en gardant un niveau de performance élevé ?

Une directrice générale dans le secteur de la logistique, que j’ai suivie dans sa démarche de transformation, insiste sur l’importance de la transparence : « Nous avons commencé par reconnaître nos limites – par exemple, la nécessité de respecter des délais serrés ou de supporter des pics d’activité. Cela nous a permis de dialoguer plus honnêtement avec les équipes, et de rechercher ensemble des solutions qui ne soient ni punitives ni utopiques. »

Les chiffres confirment cette tendance : selon une étude Gallup de 2022, les entreprises qui intègrent des principes de psychologie et de bien-être au travail enregistrent un engagement supérieur de 21 %, ainsi qu’une hausse de productivité estimée à 17 %. Ainsi, l’essentiel réside dans l’intention et la cohérence : aligner le discours sur des actes concrets, privilégier la transparence et la bienveillance, et considérer que l’humain ne se réduit pas à des métriques ou à de simples leviers de performance.

En tant que spécialiste en comportement organisationnel, j’observe chaque jour que la psychologie ne se réduit pas à un simple argument marketing ; c’est un outil précieux pour créer des environnements de travail plus durables et mieux adaptés à l’individu. Nous pouvons encore choisir la lucidité : reconnaître les pièges du « bonheur imposé », mais aussi valoriser les démarches sincères, les ajustements progressifs, et ces entreprises qui cherchent à remettre l’humain au centre.

Peut-être trouverons-nous, dans cet équilibre, une nouvelle manière de concevoir le travail. Une façon d’utiliser la psychologie comme levier d’émancipation plutôt que comme un ultime ressort de productivité. De la lucidité, en somme, pour avancer vers un management capable de respecter autant la performance que les personnes – où la psychologie serait enfin un soutien authentique, et non une formule standardisée.


(vérifié par notre rédaction)

Voici un résumé en cinq points clés de l’article sur le sujet : Management, appréhendons la psychologie comme levier d’émancipation plutôt qu’ultime ressort de productivité – Debora O’Hana.

La psychologie comme outil de gestion : La psychologie est devenue un élément central du management moderne, transformant les employés en « ressources » à optimiser, ce qui soulève des questions sur l’authenticité de ces approches.

Les promesses du bien-être au travail : Si la psychologie sociale apporte des bénéfices, sa dérive peut conduire à des obligations de bien-être artificielles, générant malaise et culpabilité chez les salariés au lieu de favoriser leur épanouissement.

L’impact des neurosciences sur le management : Les neurosciences offrent des analyses précieuses sur le comportement humain, permettant un management plus personnalisé, mais peuvent entraîner des réactions mitigées si mal appliquées ou des risques psychosociaux.

Équilibre entre positivisme et réalité : Un excès de positivité peut nuire à la responsabilité collective en renvoyant la faute à l’individu, alors qu’un management éclairé doit admettre ses limites et impliquer les équipes dans la recherche de solutions.

Vers un changement tangible : Les entreprises doivent adopter une transparence radicale et aligner leurs modes de fonctionnement avec leurs discours pour créer des conditions de travail respectueuses de chaque être humain et productives, utilisant la psychologie comme levier d’émancipation.

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