[Parole d’expert] La livraison devient une part conséquente du chiffre d’affaires de nombreux restaurants et un nombre croissant d’enseignes s’essaient, depuis la Covid, à développer ce modèle.
Il faut pourtant se souvenir que la livraison à domicile n’est pas nouvelle. Pizza Hut et Domino’s Pizza ont lancé leurs concepts il y a plus de 60 ans. Ce qui a fait leur force, c’est leur spécialisation basée sur le modèle de la livraison. Aujourd’hui, c’est la restauration traditionnelle qui s’est lancée dans la livraison, afin d’étendre sa clientèle et donc son chiffre d’affaires.
Il est à savoir que : la livraison représente en France 10% du chiffre d’affaires de la restauration. Nous dépensons quatre fois moins que les USA. Les experts estiment que la livraison représentera un tiers du chiffre d’affaires de la restauration dans les années à venir.
Ces entrepreneurs ont dû apprendre un nouveau métier
Répondre aux appels, mettre en place une logistique, faire appel aux services de sociétés et plateformes de livraison, créer des emballages spécifiques, dédier une place aux livreurs au sein de leur établissement, utiliser des outils digitaux pour centraliser les commandes, les tickets de service en cuisine, préparer et séparer les commandes de menus groupés pour la livraison et les commandes en salle, centraliser la facturation des différentes plateformes… et bien d’autres nécessités de service.
Les restaurants et les services de livraison de repas à domicile doivent faire face à des défis logistiques tels que la gestion des temps de livraison pour maintenir la qualité des repas pendant le temps de transport. Ce qui nécessite la création de menus spécifiques qui supporteront le temps de transport, les secousses du voyage… Il leur faudra également créer des emballages respectant les normes alimentaires et les normes écologiques…
Tous ces éléments entrainent des charges nouvelles diminuant d’autant les marges du restaurateur. Sans compter naturellement les réticences du personnel qui se trouve confronté à de nouvelles méthodes et obligations et qui craint, notamment en salle, de voir sa part de rémunération se réduire ! La demande a explosé en quelques années et la pandémie en a accéléré l’évolution.
Le marché de la restauration continue d’évoluer. La livraison de repas a modifié le comportement et les habitudes des consommateurs, la Covid a accentué cette évolution.
Les avantages de la livraison
- La livraison permet aux consommateurs de profiter des plats de leurs restaurants préférés sans se déplacer. Le consommateur n’a pas toujours envie de ressortir pour diner.
- Les plateformes de livraison offrent une grande variété de cuisines et de restaurants et permet de satisfaire les choix alimentaires de chacun.
- Flexibilité des horaires. Le consommateur peut commander facilement en dehors des horaires habituels.
- Economie « d’énergie » et de temps. La livraison est un moyen d’éviter le stress des courses de fin de journée entre le boulot, les transports, le poids des courses, la gestion des enfants. C’est aussi pour les couples une méthode pour passer régulièrement des soirées reposantes, sans stress, en tête à tête, voire plus si affinité. Pas de courses, pas de cuisine, moins de vaisselle, plus de temps…
- Bénéficier des promotions. Les plus organisés savent également profiter des promotions que les plateformes proposent.
Le côté sombre de la livraison
Ne mettons pas sur le dos des sociétés de livraison toutes les difficultés du marché. Les commandes à distance ont étendu la zone de chalandise des restaurants. Elles ont aussi permis de retrouver une clientèle qui avait modifié son comportement et ses habitudes.
Cependant, si l’on regarde de l’autre côté du miroir, on s’aperçoit que si le rêve est séduisant, il nécessite des logistiques qui ne sont pas encore tout à fait huilées pour le restaurateur non avisé. La première difficulté qui vient à l’esprit est le statut du coursier.
Ce qu’il faut savoir sur le statut de livreur
Une préoccupation majeure concerne le statut des livreurs. Beaucoup d’entre eux sont des travailleurs indépendants ou des auto-entrepreneurs, ce qui signifie qu’ils ne bénéficient pas des avantages et des protections sociales des salariés. Certains conflits en cours tentent d’y remédier.
D’autre part, la rémunération des livreurs est considérée comme insuffisante pour couvrir les charges sociales et les frais d’entretien du véhicule (scooter ou bicyclette). Les horaires sont évidemment concentrés essentiellement sur les périodes de repas, ce qui pousse les livreurs à prendre en charge un maximum de livraisons sur des laps de temps courts. Rendant leur métier dangereux et stressant. Des discussions et des procédures judiciaires sont en cours sur le statut des livreurs. Il est très vraisemblable qu’il évolue, ainsi que les obligations des sociétés et plateformes de livraison.
Le prix de la restauration devient un frein au développement
Alors, service à table dans le restaurant de son choix avec un accueil personnalisé, des conseils culinaires, la rencontre avec le Chef, et parfois aussi plaisir des rencontres ? Ou dégustation à domicile en tête à tête, en famille ou avec ses amis ? Ou tout simplement satisfaire les mêmes goûts que dans un bon restaurant, mais dans son propre logis ? Pourquoi favoriser l’une ou l’autre des solutions lorsque l’on peut avoir le choix ?
Le débat, comme toujours sépare les professionnels de la restauration qui tentent de conserver leurs clients « captifs » et les spécialistes de la livraison qui poussent le client à commander de plus en plus souvent, en testant le plus de restaurants possibles. Lorsque l’on pose la question au consommateur, parce que c’est quand même lui qui aura le dernier mot, il préfère… ne pas avoir à choisir. Il veut pouvoir commander de temps en temps et aller au restaurant quand il en a envie.
Mais, le consommateur trouve que le prix de la livraison est exorbitant. Il se considère otage des négociations entre les plateformes et les restaurateurs. Qui doit payer, qui doit rogner sa marge pour satisfaire le client ? Le grand dilemme est de savoir qui est client de qui ? Le consommateur est-il le client du restaurateur ou de la plateforme ?
Il faut savoir que la commission réclamée par les opérateurs varie de 13 ou 14% pour le moins exigeant à 30, voire 35% pour le leader. Naturellement les grandes chaînes ou les restaurants réputés négocient âprement les taux, mais pas l’indépendant. Il en résulte des baisses de marge dangereuses ou la fuite de clients habitués qui trouvent les tarifs de livraison excessifs. La concentration des plateformes va aller à l’encontre du développement de la consommation à domicile. Un dilemme que les intervenants devront prendre en compte lors de leurs discussions.
Quelle image la livraison transmet-t-elle du restaurateur qu’elle est sensée représenter ?
L’image portée par les plateformes de livraison et donc par les livreurs eux-mêmes n’est-elle pas néfaste pour une certaine catégorie de restaurateurs ? On comprend aujourd’hui que le consommateur ne soit pas « emballé » de voir le tarif de son menu s’envoler alors que le service est pour le moins désinvolte – pour ne pas être plus sévère.
Evidemment, le consommateur attend non pas un conseil, ni un service de « Conciergerie », mais si l’on veut qu’il accepte un tarif de livraison qui corresponde à la charge de travail de chaque intervenant, il faudrait sans doute réfléchir à améliorer l’image du service apporté.
Et que dire de l’image sociale de la livraison et du métier de livreur, de son impact environnemental, de la multiplication des emballages, etc ? Bernard Boutboul, référence française en matière de conseil aux entreprises de l’industrie de la restauration hors domicile, a écrit, avec talent, que « le service à table était le relai entre le consommateur et le cuisinier ». Le livreur deviendra-t-il un jour le lien entre le Chef et son client ?