Pour faire face à une pénurie de main d’œuvre dans leurs crèches et micro-crèches, les enseignes mettent en place des stratégies de recrutement innovantes, des plans de rémunérations et des solutions pour retenir leurs professionnels de la petite enfance. Revue de détails.
Le secteur de la petite enfance en pénurie de main d’œuvre
Les chiffres de la Caisse nationale d’allocations familiales sont sans appel : 10 000 postes sont aujourd’hui vacants ou non remplacés dans les crèches collectives. Bilan, près d’une crèche sur deux déclare aujourd’hui manquer d’éducateurs de jeunes enfants, d’auxiliaires de puériculture, d’animateurs petite enfance… Pour faire face à ce manque de main d’œuvre exponentielle, certaines sont même obligées de fermer ponctuellement leurs portes.
Ainsi, à l’été 2022, le réseau de micro crèches Les Chérubins a par exemple dû fermer l’une de ses structures parisiennes, faute de personnel suffisant. « On a commencé par réduire les horaires d’ouverture en demandant aux parents d’accompagner leurs enfants plus tôt le matin et de les récupérer également plus tôt le soir. Et puis, rapidement, nous n’avons eu plus que deux salariées, donc nous avons dû fermer l’établissement », illustre Soumaïn Souleyman, directeur général du réseau de micro-crèches Les Chérubins. Réduction d’horaires également dans une crèche d’Alsace, faute de bras en nombre suffisant.
Selon les professionnels du secteur, cette situation s’explique de plusieurs façons. D’abord d’un point de vue macro-économique. Comme dans la restauration, il s’agit de métiers exigeants et fatigants avec de larges amplitudes horaires. Et depuis le covid, ils ne font plus recette. « Entre 800 et 1 000 nouvelles micro-crèches ouvrent leurs portes tous les ans. Pour faire tourner une structure, il faut en moyenne 4 personnes. Soit mathématiquement un besoin de 4 000 nouveaux professionnels de la petite enfance chaque année. Or, le rythme des formations ne suit pas », décompte-t-il. La rémunération ne fait pas non plus rêver. Les embauches se font en général au niveau du smic. Et malgré une triple revalorisation du salaire minimum ces derniers mois, cela ne compense pas l’inflation galopante. Les réseaux ne pouvant pas ad vitam aeternam augmenter la facture des familles, ils ne consentent pas de substantielles hausses dans les salaires d’embauche. Ces jobs en lien avec la petite enfance ne trouvent donc plus vraiment preneurs et c’est un euphémisme.
Les réseaux de franchise spécialisés dans les crèches recherchent activement des pros de la petite enfance
Outre des embauches liées à l’ouverture de nouvelles crèches, les réseaux doivent aussi embaucher pour palier le turn over important de leurs équipes, qui n’hésitent pas pour quelques dizaines d’euros en plus par mois, à changer de crémerie. Chaque année, le groupe Babychou Services embauchent entre 4 000 et 5 000 intervenants pour assurer la garde d’enfants au domicile de ses clients.
Cette année, l’enseigne Ô P’tit Môme va rechercher 250 nouvelles recrues.
Dans les 3 années à venir, Les Chérubins table sur 40 ouvertures par an. Soit 160 recrutements de professionnels de la petite enfance auxquels viendront s’ajouter des remplacements de postes laissés vacants par les équipes.
Les franchiseurs s’arrachent les cheveux pour recruter dans leurs micro-crèches
Pour attirer des talents, comme on dit maintenant sur le marché du travail, chaque réseau déploie des efforts considérables. Et notamment la mise en place de l’alternance. « Environ 600 alternants devraient nous rejoindre pour préparer le CAP accompagnant éducatif petite enfance. Il s’agit souvent de jeunes issus des quartiers pour qui c’est parfois le premier diplôme. Au bout d’un an, 35 % poursuivent l’aventure chez nous en CDI. Mais si c’était possible, nous aimerions en garder 100 %. Or certains poursuivent leurs études et nous sommes un tremplin pour des postes de garde d’enfants en crèche », analyse Claire Lanneau, dirigeante fondatrice Groupe Babychou Services.
Une aubaine pour les réseaux de crèches privées. Mais une manne qui est loin d’être suffisante pour assurer tous les postes à pouvoir dans ces établissements. Alors les réseaux de crèche mettent eux aussi le paquet pour attirer des candidats. En septembre 2023, Ô P’tit Môme via son Ô P’tit Môme Académie, lancera sa première classe préparant au CAP petite enfance. « Il y aura beaucoup de cours à distance et l’apprentissage se fera dans les crèches de notre réseau. Avec à la clé, un job », explique Jimmy Dacquin, PDG fondateur du réseau de crèches Ô P’tit Môme.
Pour doper indirectement la rémunération des nouvelles recrues et des salariés en poste, Les Chérubins leur propose depuis mars 2023 des titres restaurant d’une valeur faciale de 10 euros. « Dans les annonces, on précise donc bien « rémunération au smic + ticket resto ». Pour l’heure, cette initiative est déployée dans nos 40 succursales mais on explique bien à nos franchisés que ces titres restaurants sont un excellent moyen de doper le pouvoir d’achat de leurs salariés sans augmenter la masse salariale. Quand ils déboursent 100 euros, ils ne paient que 100 euros. Donc financièrement pour eux, c’est intéressant », plaide Soumaïn Souleyman (Les Chérubins).
Enfin, en plus de diffuser des offres d’emploi au niveau local mais aussi sur les réseaux sociaux, les enseignes essaient de « dégenrer » la profession quasi exclusivement féminine. A coup de campagnes de communication via des médias de jeunes, type Brut ou Konbini, ils donnent la parole à leur éducateur de jeunes enfants pour qu’ils témoignent de leur quotidien dans les réseaux. Mais ce n’est pas demain la veille qu’ils attendent un raz de marée de candidatures masculines.
Les réseaux de crèche bossent sur la rétention de leurs talents
En plus de s’arracher les cheveux pour attirer de nouvelles recrues, les têtes de réseau doivent redoubler d’efforts pour retenir leurs collaborateurs déjà en poste. Tous mettent en avant la possibilité offerte de se former en continu pour monter en compétences, décrocher un nouveau diplôme et donc un job un cran au-dessus et la rémunération qui va avec. « 10 à 15 % de nos salariés travaillant en agences sont issus du terrain », précise par exemple Claire Lanneau (Group Babychou Services).
D’autres consentent des efforts en matière de rémunération. Chez Ô P’tit Môme, une éducatrice de jeunes enfants peut toucher jusqu’à 2 300 euros bruts par mois. Contre 1 600-1 700 euros au niveau national. « Les mieux payées sont plus fidèles car c’est plus compliqué pour elles de trouver le même salaire ailleurs », constate Jimmy Dacquin.
Depuis janvier 2023, le réseau Les Chérubins a mis en place une prime d’intéressement pour toutes les équipes indexée sur le chiffre d’affaires de chaque crèche. « Nous avons fixé des paliers de CA à partir desquels se déclenchent des montants de primes plafonnées à 6 000 euros par semestre à se répartir entre les 4 membres des crèches. Pour cela, nous ferons un bilan semestriel », précise Soumaïn Souleyman. Attendues sur leur niveau de CA, les équipes sont donc invitées à « booster » leur taux de remplissage. « Pour une famille, le taux horaire dépend du nombre de jours d’inscription à la crèche. Il est d’autant moins élevé que l’on se rapproche d’un temps plein. Les équipes ont donc intérêt à avoir jusqu’à 20 familles différentes qui picorent des journées dans nos crèches », conclut-il. Selon le dirigeant du réseau, le montant moyen de la prime devrait atteindre 4 000 euros par crèche.