[Tribune] Au travers du récit de Sylvie, Yves Sassi rappelle que le franchisé est avant tout un entrepreneur.
Un dîner sans fin. Je pourrais l’intituler un dîner sans faim. J’y suis allé parce que Jean a insisté. Il voulait que je rencontre son amie. Je devais la conseiller dans son souhait de créer son entreprise. J’ai échoué.
Quatre ans d’études et six à la Défense au service juridique d’une grande compagnie d’assurance. Sylvie veut se mettre à son compte. Elle a envie de faire un métier utile, être aux service des autres. En bref, la compagne de Jean veut donner du sens à son travail et à sa vie.
Son idée : s’occuper de nos ainés. Elle a passé ces dernières semaines à rencontrer des sociétés d’aide à la personne et a compris que son avenir était là.
Pendant tout le dîner, elle s’est enflammée en me racontant ce qu’elle avait imaginé pour égayer la vie de personnes âgées. Organiser des visites dans des lieux historiques, adapter les jeux d’enfants comme les chasses au trésor ou les escape games, promener des chiens en compagnie de ses clients…
Les asperges et cœurs d’artichaut me sont passés sous le nez, le rôti était froid, je n’ai pas vu passer le fromage et la glace a fondu pendant que Sylvie m’expliquait comment elle avait rencontré son futur réseau de franchise.
Sylvie allait créer une unité d’aide à la personne. Son métier serait d’accompagner les retraités nécessitant dans leur vie quotidienne. Elle avait déjà le vocabulaire. Promenades, petit bricolage, parfois un peu de jardinage, assister ses clientes dans les négociations avec artisans, banquiers et autres « vampires qui escroquent les vieilles dames » (disait-elle).
J’ai écouté avec grande politesse la diatribe de dame Sylvie, pourfendant nos sociétés malades et immorales. Et quand j’ai flairé l’instant où je pouvais en placer une, je lui ai expliqué que son métier de franchisée serait aussi (surtout !) de trouver des clients, de négocier avec les mairies, les maisons de retraite, les infirmières, médecins, kiné…De s’occuper de ses salariés, de les former, de leur faire respecter les chartes qualité et obligations diverses et variées. Et qu’elle n’aurait pas le loisir de déambuler avec sa clientèle.
Mais Sylvie savait tout cela. Un geste de la main m’a fait comprendre qu’elle connaissait parfaitement mes arguments… et avait déjà signé son contrat de franchise !
Son franchiseur lui avait expliqué que la zone choisie était convoitée par un quidam et qu’il était sage de signer « rapidement et tout de suite » pour réserver le secteur géographique. Ben voyons !
J’ai pourtant tenté de dire à Sylvie de faire jouer la clause de retrait. Le franchiseur n’avait pas respecté les termes de la loi Doubin qui impose un délai de 21 jours de réflexion. Sylvie n’avait pas entendu parler de ce truc, Jean non plus et de toutes façons elle était décidée !
Presque un an plus tard, j’ai invité Sylvie et Jean à dîner .
Jean est arrivé avec une bonne bouteille, l’air moqueur désabusé. Sylvie m’a salué timidement, enfin presque froidement.
Le vin de Jean nous a détendus. J’ai demandé à Sylvie comment tournait sa boîte. Elle m’a juste répondu : « ne m’en parle pas ! »
Pendant un an, Sylvie a travaillé pour deux clientes qui occupaient tout son temps naturellement. Bien entendu, elles facturait ses prestations mais l’affaire était bien peu rentable.
Sylvie aimait son métier, enfin le métier qu’elle souhaitait faire. Mais son entreprise réclamait une dirigeante commerciale, organisatrice, qui ait une vision à moyen long terme, un savoir-faire et des objectifs de développement : enfin une chef d’entreprise, ce qui ne l’intéressait pas, visiblement. Jean non plus d’ailleurs.
Sylvie a retrouvé sa compagnie d’assurance.
L’an dernier, c’est un cadre de banque qui m’a invité à l’inauguration de son entreprise. Il venait de louer un étage dans un petit immeuble, avait créé une salle de réunion, des toilettes, un coin cuisine et son bureau avec un superbe ordinateur, un écran mural, des étagères pour les dossiers clients, une moquette anti salissures. Et pour couronner le tout, il avait recruté une collaboratrice qui prendrait ses rendez-vous et l’aiderait dans le gestion de son nouvel univers.
Alexandre H. s’est assis derrière son bureau et m’a dit fièrement :
« Vous voyez, j’y suis arrivé ! »
Je suis resté dubitatif. Il s’en est aperçu. Alors je lui ai dit que l’aventure ne faisait que débuter. Il avait dépensé tout son capital pour installer ses bureaux et n’avait pas commencé à démarcher un seul client. Même pas mis en place une stratégie digitale pour cibler des prospects. Même pas fait un visuel pour se lancer sur Linkedin, Instagram, sans parler de Tik Tok & co.
Votre profil d’entrepreneur est votre premier atout. Encore faut-il ne pas se mentir
Pourquoi je vous écris ces quelques lignes.
Pour prévenir ceux qui souhaitent se lancer dans la création d’une entreprise, en Franchise ou pas.
Pour créer son entreprise, il faut respecter un certain nombre de règles, dont la première est de déterminer son propre profil d’entrepreneur. Ce n’est pas parce que vous êtes bon cuisinier que votre restaurant marchera, ce n’est pas parce que vous aimez la mécanique que vous serez un bon patron chez Speedy. Aimer la mode ne suffit pas pour vendre des fringues, il faut aussi aimer ses clients… Et ce début de liste peut se poursuivre à l’infini.
C’est un métier d’entreprendre. Il faut analyser dans le détail les propositions des franchiseurs. Certains vont essayer de vous forcer un peu la main pour vous faire signer votre chèque de droit d’entrée. Ce n’est pas bon signe.
Faites vous conseiller, rencontrez un juriste, un expert comptable, un financier… Et des franchisés déjà implantés. Ceux qui sont là depuis longtemps et les tout nouveaux.
Allez voir ce que font les concurrents. Parlez avec les gens du quartier. Si vous n’osez pas, cela vous montrera que vous n’avez pas le tempérament du batailleur entrepreneur.
Quelques petites astuces également. Demandez le bilan du franchiseur et faites vous commenter le poste « Clients à recevoir ». Vous savez, c’est l’argent que doivent les clients de l’entreprise. Et a priori, ce poste-là est celui des redevances que les franchisés doivent régler… Si le montant est élevé cela veut dire que les franchisés n’ont pas payé leurs royalties. Ils sont donc mécontents… sinon, c’est parce que l’échéance est proche de la date de clôture du bilan.
S’il s’agit d’une franchise qui vous vend ses produits, vérifiez le montant et la qualité des stocks. Une explication est souvent indispensable. Et demandez comment est organisée la logistique. S’il y a rupture des livraisons, quels sont les plans B qui vous sauveront ? Un seul fournisseur pour une référence prioritaire, ce n’est pas raisonnable par les temps qui courent.
Bon je vous laisse préparer votre projet. On se reparle bientôt.